La flèche étincelante de 124 mètres qui surplombe le One World Trade Center se dresse comme un symbole de résilience et de renaissance. Pourtant, l’entreprise canadienne qui a fabriqué cette structure iconique fait maintenant face à une menace existentielle de la part du pays même qu’elle a aidé à commémorer. ADF Group Inc., basée à Terrebonne, au Québec, est aux prises avec des tarifs douaniers paralysants imposés par l’administration Trump qui menacent de saper des décennies de coopération industrielle transfrontalière.
“Nous sommes pris dans le feu croisé d’une guerre commerciale à laquelle nous n’avons jamais demandé à participer,” déclare Jean-François Boursier, PDG du Groupe ADF. “Après avoir contribué au bâtiment le plus symbolique de l’Amérique, nous faisons maintenant face à des barrières qui rendent la compétition sur ce marché pratiquement impossible.”
Les tarifs de 25% sur l’acier, réintroduits par le président Trump en juin, ont envoyé des ondes de choc dans l’industrie sidérurgique canadienne. Le Groupe ADF a vu ses contrats américains – qui constituent plus de 70% de son activité – mis en péril alors que les clients américains recherchent des alternatives nationales moins coûteuses. Ce changement représente un revirement brutal pour une entreprise qui fait partie intégrante du paysage architectural américain depuis plus de 30 ans.
Les tarifs ont déjà déclenché une chute de 32% du cours de l’action d’ADF depuis leur annonce, effaçant près de 50 millions de dollars en valeur boursière. Les analystes de l’industrie de RBC Marchés des Capitaux prévoient que l’entreprise pourrait faire face à des baisses de revenus allant jusqu’à 45% d’ici la fin de l’année si les tarifs restent en place, forçant potentiellement des licenciements importants parmi ses 650 employés.
“Il ne s’agit pas seulement de bilans financiers – il s’agit de communautés,” explique l’économiste du commerce Patricia Morin de l’Université de la Colombie-Britannique. “Lorsque des fabricants spécialisés comme ADF sont en difficulté, des économies régionales entières en subissent les conséquences.” Les effets d’entraînement s’étendent au-delà d’ADF à des dizaines de petits fournisseurs à travers le Québec et l’Ontario qui fournissent des composants et des services au fabricant d’acier.
Les tarifs marquent un changement dramatique dans les relations commerciales américano-canadiennes, qui s’étaient améliorées sous l’accord ACEUM signé en 2020. Les responsables canadiens ont répondu avec des contre-mesures proportionnelles sur les marchandises américaines, mais pour des entreprises comme ADF, les solutions diplomatiques pourraient arriver trop tard.
La situation difficile d’ADF met en évidence la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement intégrées face aux changements politiques. L’entreprise avait investi 25 millions de dollars dans l’expansion de ses installations de production américaines au Montana il y a seulement deux ans – une décision qui semble maintenant douloureusement mal synchronisée.
“L’ironie ne nous échappe pas,” note Boursier. “Nous avons aidé à construire la Freedom Tower, un symbole de la force et de l’ouverture américaines. Maintenant, nous sommes exclus de ce même marché.”
L’entreprise explore désormais des stratégies de diversification, notamment des contrats potentiels sur les marchés asiatiques émergents et une concentration accrue sur les projets d’infrastructure canadiens. Cependant, les analystes restent sceptiques quant à la capacité de ces alternatives à remplacer pleinement l’activité américaine perdue.
Alors que Washington et Ottawa poursuivent leurs tendues discussions commerciales, ADF et des dizaines d’autres fabricants canadiens restent en suspens – leur avenir dépendant davantage des décisions politiques que de la qualité de leur travail. Pour les constructeurs du plus haut symbole de résilience de l’Amérique, ce dernier défi pourrait s’avérer le plus difficile à ce jour.