Le fossé entre les Canadiens les mieux et les moins bien rémunérés s’est creusé à des niveaux sans précédent, les nouvelles données révélant que l’écart de revenus a atteint un sommet historique au premier trimestre de 2025. Les derniers indicateurs économiques de Statistique Canada dressent un tableau préoccupant d’un pays de plus en plus divisé par la fortune économique, malgré des années d’initiatives gouvernementales visant à créer une prospérité plus équitable.
Selon l’analyse économique trimestrielle publiée hier, le 1 % des Canadiens les mieux rémunérés accapare désormais 14,7 % du revenu total du pays, en hausse par rapport aux 13,2 % d’il y a deux ans seulement. Pendant ce temps, les 50 % de Canadiens les moins bien nantis reçoivent collectivement seulement 17,3 % du revenu national, ce qui représente une baisse de 1,8 point de pourcentage depuis 2023.
« Ce à quoi nous assistons n’est pas simplement une variation économique cyclique, mais plutôt un changement structurel dans la façon dont les gains économiques sont distribués », explique Dre Élaine Morrow, économiste au Centre canadien de politiques alternatives. « La pandémie a initialement comprimé certains indicateurs d’inégalité, mais les tendances post-reprise ont accéléré la concentration des richesses à des taux que nous n’avons jamais vus dans l’histoire moderne du Canada. »
Le rapport de Statistique Canada identifie plusieurs facteurs qui contribuent à cet écart croissant. Les bénéfices des entreprises dans des secteurs clés comme les services financiers, la technologie et l’énergie ont grimpé en flèche de 21 % en moyenne d’une année à l’autre, tandis que la croissance des salaires pour les travailleurs à revenu moyen et faible a du mal à suivre l’inflation, ce qui entraîne une contraction du revenu réel pour des millions de ménages.
Les coûts du logement continuent de jouer un rôle important dans l’équation de l’inégalité. Les valeurs immobilières dans les grands centres urbains ont augmenté de 17,3 % en moyenne depuis l’an dernier, ce qui avantage de façon disproportionnée les propriétaires existants tout en rendant l’accession à la propriété encore plus difficile pour les Canadiens plus jeunes et à faible revenu.
« Le marché immobilier est essentiellement devenu un accélérateur de richesse pour ceux qui y sont déjà positionnés, tout en fonctionnant comme une barrière de plus en plus impénétrable pour les autres », souligne Jordan Chen, analyste principal des politiques du logement à l’Université de Toronto. « Combiné à la stagnation des salaires dans de nombreuses professions, nous assistons à un parfait cocktail d’inégalités. »
La ministre fédérale des Finances, Freya Richardson, a abordé ces préoccupations lors de la conférence de presse d’hier, déclarant : « Ce gouvernement reconnaît les tendances inquiétantes dans la distribution des revenus et demeure déterminé à mettre en œuvre des politiques ciblées qui garantiront que la croissance économique profite à tous les Canadiens, pas seulement à ceux qui se trouvent au sommet de l’échelle économique. »
Les critiques, cependant, remettent en question l’efficacité des approches actuelles. Le critique en matière de finances de l’opposition, Marcel Dubois, a qualifié les derniers chiffres de « preuve accablante de l’échec des politiques », en pointant du doigt la structure fiscale et la réglementation des entreprises comme des domaines nécessitant une réforme immédiate.
La dimension géographique de l’inégalité semble particulièrement prononcée dans les dernières données. Alors que les grands centres urbains comme Toronto, Vancouver et Calgary affichent des indicateurs de prospérité en accélération, les communautés rurales et les petits centres urbains du Canada atlantique et de certaines parties des Prairies montrent des indicateurs économiques en déclin.
Ce qui préoccupe particulièrement les économistes, c’est la détérioration de la mobilité économique intergénérationnelle, historiquement une caractéristique de la société canadienne. Des études récentes d’universités canadiennes suggèrent que la probabilité qu’un enfant gagne plus que ses parents a diminué de près de 30 % par rapport aux générations précédentes.
Le milieu des affaires offre des perspectives mitigées sur la façon d’aborder ces défis. La Chambre de commerce du Canada a plaidé en faveur d’incitatifs fiscaux ciblés pour stimuler l’investissement dans les régions sous-performantes, tandis que les organisations syndicales réclament un renforcement des cadres de négociation collective et des augmentations du salaire minimum liées aux gains de productivité.
Au-delà des implications économiques, les analystes politiques suggèrent que l’inégalité croissante pourrait avoir de profondes conséquences électorales. « La polarisation économique précède souvent la polarisation politique », observe Dre Samantha Leung, politologue à l’Université McGill. « À mesure que plus de Canadiens se sentent économiquement aliénés, nous pourrions voir un soutien accru pour des mouvements politiques qui promettent une restructuration économique plus radicale. »
Alors que le Canada navigue dans ces courants économiques difficiles, la question fondamentale demeure : un pays historiquement défini par sa stabilité de classe moyenne et sa mobilité sociale peut-il inverser ces tendances avant qu’elles ne modifient de façon permanente le tissu social de la nation? La réponse pourrait déterminer non seulement l’orientation des politiques économiques, mais aussi la nature même de la société canadienne pour les générations à venir.