Le silence qui entoure la santé des hommes autochtones au Canada en dit long. Bien que notre système de santé se targue d’un accès universel, la réalité vécue par les hommes autochtones révèle une image nettement différente – marquée par des inégalités persistantes, une déconnexion culturelle et des barrières systémiques qui ont créé une crise sanitaire cachée au grand jour.
Les statistiques racontent une histoire sobre. Les hommes autochtones au Canada font face à un écart d’espérance de vie de 8,5 ans par rapport aux hommes non autochtones, selon les données de Santé Canada. Ils connaissent des taux significativement plus élevés de maladies chroniques, notamment le diabète à près de trois fois la moyenne nationale, et les maladies cardiaques à presque deux fois le taux moyen. Plus alarmant encore est la crise de santé mentale, avec des taux de suicide chez les hommes autochtones environ cinq fois plus élevés que chez leurs homologues non autochtones.
Ces chiffres ne sont pas de simples données – ils représentent des pères, des frères, des fils et des leaders communautaires dont le potentiel est écourté par un système de santé qui n’a pas été conçu en tenant compte de leurs besoins particuliers.
Les racines de cette inégalité en matière de santé sont profondes. L’héritage du colonialisme a laissé un traumatisme intergénérationnel profond qui continue d’affecter les communautés autochtones aujourd’hui. Le système des pensionnats, les déplacements forcés et la suppression culturelle ont tous contribué à une relation fracturée entre les hommes autochtones et les institutions de santé traditionnelles du Canada. De nombreux hommes autochtones signalent avoir subi de la discrimination et des soins culturellement insensibles lorsqu’ils cherchent une attention médicale, ce qui entraîne un retard de traitement ou l’évitement complet du système de santé.
“Le modèle médical occidental ne reconnaît souvent pas les approches autochtones traditionnelles du bien-être,” explique Dr. James Makokis, médecin de famille bispirituel Nehiyaw (Cri) de la Première Nation de Saddle Lake. “La santé pour les peuples autochtones ne concerne pas seulement les symptômes physiques – elle englobe le bien-être spirituel, émotionnel et communautaire en équilibre.”
Cette déconnexion n’est pas seulement culturelle – elle est aussi géographique. Près de la moitié des hommes des Premières Nations vivent dans des communautés rurales ou éloignées où l’accès aux services de santé de base nécessite des heures de voyage. Dans le Grand Nord, consulter un spécialiste peut signifier un vol vers une ville du sud, la séparation des systèmes de soutien familial et la navigation dans un environnement urbain inconnu.
L’approche conventionnelle pour répondre à ces disparités a été de développer des programmes “pour” les communautés autochtones sans une implication significative dans leur conception et leur mise en œuvre. Cette approche bien intentionnée mais finalement imparfaite a donné lieu à des services qui ne trouvent pas d’écho chez les hommes qu’ils visent à servir.
Ce qui est nécessaire, c’est plutôt un changement fondamental vers le co-développement de systèmes de santé avec les hommes autochtones en tant que partenaires égaux. Cela signifie créer des espaces où les connaissances traditionnelles sont respectées aux côtés de la médecine occidentale, où les pratiques culturelles sont intégrées dans les protocoles de soins, et où les hommes autochtones se voient reflétés dans le personnel de santé.
Des modèles prometteurs émergent. En Colombie-Britannique, l’Autorité sanitaire des Premières Nations représente la première autorité sanitaire provinciale de ce type au Canada, gouvernée par et servant les communautés des Premières Nations. Leur approche centre les connaissances et pratiques autochtones tout en travaillant à améliorer l’accès aux options de soins traditionnels et modernes.
Des initiatives communautaires comme les Cercles de guérison pour hommes et les programmes de bien-être axés sur la terre montrent des résultats impressionnants en reconnectant les hommes autochtones aux pratiques culturelles et en construisant des réseaux de soutien. Ces programmes abordent non seulement la santé physique mais aussi le bien-être spirituel et émotionnel – des éléments souvent négligés dans les cadres médicaux conventionnels.
Pour que de réels changements s’installent, nous devons également aborder les déterminants sociaux de la santé qui affectent de manière disproportionnée les hommes autochtones – la pauvreté, le logement inadéquat, l’insécurité alimentaire et les opportunités économiques limitées. Les résultats de santé ne peuvent être séparés de ces conditions plus larges.
L’engagement du gouvernement fédéral envers la réconciliation doit s’étendre au-delà des excuses pour inclure un investissement substantiel dans les initiatives de santé dirigées par les Autochtones. La Commission de vérité et réconciliation a lancé des appels à l’action spécifiques concernant la santé autochtone, notamment en reconnaissant la valeur des pratiques de guérison traditionnelles et en augmentant le nombre de professionnels autochtones dans les soins de santé. Les progrès sur ces fronts restent malheureusement lents.
Pour ceux d’entre nous qui travaillent dans la politique de santé et l’analyse culturelle chez CO24 Culture, il est clair que pour remédier à cette inégalité, il faut plus que des services modifiés – cela exige une refonte fondamentale de notre approche de la santé et du bien-être pour les hommes autochtones au Canada.
La véritable équité en matière de santé ne sera atteinte que lorsque les hommes autochtones auront leur mot à dire dans la conception, la prestation et l’évaluation de leurs services de santé. Cela signifie créer des environnements culturellement sûrs où les connaissances traditionnelles sont respectées, où les soins s’adressent à la personne entière, et où les impacts des traumatismes historiques sont compris et traités avec compassion.
Il ne s’agit pas seulement d’améliorer les résultats de santé – bien que ceux-ci suivraient certainement. Il s’agit de reconnaître le droit inhérent des hommes autochtones à déterminer leurs propres parcours de santé. Il s’agit de reconnaître que la véritable réconciliation doit inclure des systèmes de guérison qui honorent les façons autochtones de connaître et d’être.
Alors que nous continuons d’explorer les tendances sociales contemporaines chez CO24, la question demeure: aurons-nous, en tant que société, le courage de véritablement décoloniser notre approche de la santé des hommes autochtones? Ou continuerons-nous avec des systèmes qui traitent les symptômes tout en ignorant les causes plus profondes de l’inégalité? La voie à suivre nous oblige à écouter, apprendre et agir en véritable partenariat avec les communautés autochtones – non pas comme une réflexion après coup, mais comme le fondement d’un système de santé plus juste pour tous.