Dans une étude novatrice qui éclaire les défis croissants de santé publique au Canada, des chercheurs ont établi une relation causale directe entre l’insécurité alimentaire et la détérioration de la santé mentale. Ces résultats arrivent à un moment critique où près d’un ménage canadien sur six déclare avoir du mal à accéder à une alimentation adéquate et nutritive—une situation qui, selon les experts, déclenche directement des symptômes d’anxiété et de dépression dans tout le pays.
Cette recherche approfondie, menée par une équipe du Département des sciences nutritionnelles de l’Université de Toronto, a suivi plus de 5 000 participants dans cinq provinces pendant trois ans. Leurs résultats démontrent que les personnes en situation d’insécurité alimentaire étaient 2,3 fois plus susceptibles de développer une anxiété cliniquement significative et 2,7 fois plus susceptibles de souffrir de dépression par rapport aux Canadiens jouissant de la sécurité alimentaire.
“Il ne s’agit pas simplement d’une corrélation—nous avons établi une causalité,” explique Dre Valerie Morrison, chercheuse principale de l’étude. “Quand les Canadiens s’inquiètent de leur prochain repas, cela crée un fardeau psychologique qui se manifeste par des problèmes de santé mentale diagnosticables. La relation est directe et dévastatrice.”
La méthodologie de l’étude a séparé les effets de l’insécurité alimentaire des autres facteurs socioéconomiques, confirmant que même en tenant compte du revenu, de la situation d’emploi et des conditions préexistantes, l’impact sur la santé mentale demeurait significatif. Cela remet en question les hypothèses antérieures selon lesquelles l’insécurité alimentaire n’était qu’un marqueur de pauvreté plutôt qu’un facteur de risque indépendant de détresse psychologique.
Le plus préoccupant est que les effets semblent s’aggraver avec le temps. Les participants ayant signalé une insécurité alimentaire pendant plusieurs années consécutives ont montré une détérioration progressive de leur santé mentale, suggérant une spirale dangereuse dont il devient de plus en plus difficile de sortir sans intervention.
“Nous assistons à l’émergence d’un système de santé mentale à deux vitesses au Canada,” note Dr Aaron Kaplan, psychiatre à l’Hôpital général de Toronto, qui n’a pas participé à l’étude. “Ceux qui ont les moyens économiques peuvent accéder à un soutien thérapeutique, tandis que ceux qui luttent pour des besoins fondamentaux comme la sécurité alimentaire développent des problèmes de santé mentale évitables avec un accès limité aux soins.”
La recherche a également révélé d’importantes disparités entre les provinces canadiennes, le Canada atlantique et les communautés nordiques connaissant des taux disproportionnellement élevés d’insécurité alimentaire et de problèmes de santé mentale connexes. Les communautés autochtones continuent de faire face aux taux les plus élevés d’insécurité alimentaire, près de 50 % des ménages signalant un certain niveau de difficultés d’accès à la nourriture.
Les analystes économiques du Conseil canadien des affaires soulignent l’impact démesuré de l’inflation sur les prix alimentaires comme facteur clé. “L’inflation alimentaire a constamment dépassé l’inflation générale au cours des trois dernières années,” explique l’économiste Priya Singh. “Lorsque les familles sont forcées de choisir entre payer le loyer ou acheter des provisions, nous voyons les conséquences psychologiques se manifester en temps réel.”
Le gouvernement fédéral a récemment annoncé une expansion de 200 millions de dollars du Fonds national pour la sécurité alimentaire, bien que les critiques soutiennent que cela ne représente qu’une fraction de ce qui est nécessaire pour faire face à la crise croissante. Les chefs de l’opposition politique ont appelé à une stratégie alimentaire nationale globale qui aborde à la fois l’accès et l’abordabilité.
Les défenseurs de la santé mentale exhortent les décideurs politiques à tenir compte de ces résultats lors de la conception d’interventions futures. “Nous ne pouvons plus traiter la sécurité alimentaire et la santé mentale comme des domaines politiques distincts,” déclare Michael Chen, directeur de la Coalition canadienne pour la santé mentale. “Cette recherche prouve qu’ils sont intrinsèquement liés, et notre approche doit refléter cette réalité.”
Alors que le Canada continue de faire face à la hausse du coût de la vie et aux inégalités économiques croissantes, la question demeure: reconnaîtrons-nous la sécurité alimentaire comme l’intervention fondamentale en santé mentale qu’elle est clairement, ou continuerons-nous à traiter les symptômes tout en ignorant l’une des causes profondes de notre crise nationale de santé mentale?