Dans une époque où les institutions démocratiques font face à des défis croissants dans le monde entier, le juge en chef du Canada, Richard Wagner, a prononcé hier un discours puissant soulignant comment l’indépendance judiciaire et l’État de droit servent de remparts essentiels contre l’autocratie. Lors de la conférence annuelle de l’Association du Barreau canadien à Ottawa, Wagner a mis en lumière la nature de plus en plus fragile des systèmes démocratiques à l’échelle mondiale et la responsabilité du Canada de préserver ses fondements constitutionnels.
“La démocratie ne se maintient pas d’elle-même,” a déclaré Wagner devant l’auditorium rempli de professionnels du droit. “Elle nécessite une vigilance et une protection constantes, particulièrement à une époque où les mouvements populistes remettent de plus en plus en question les normes et institutions démocratiques établies.”
Les remarques du juge en chef surviennent dans un contexte de tendances mondiales préoccupantes, l’Indice de démocratie rapportant que seulement 6,4 % de la population mondiale vit actuellement dans des démocraties à part entière—un chiffre qui n’a cessé de diminuer au cours de la dernière décennie. Le Canada, bien qu’il maintienne sa position parmi les principales nations démocratiques, fait face à ses propres défis pour préserver l’indépendance judiciaire et la confiance du public dans le système juridique.
“Ce qui distingue les démocraties fonctionnelles des autocraties n’est pas simplement la tenue d’élections,” a expliqué Wagner, “mais plutôt un système robuste de freins et contrepoids où les tribunaux peuvent prendre des décisions sans ingérence politique, même lorsque ces décisions peuvent être impopulaires auprès du gouvernement en place.”
Wagner a particulièrement souligné le rôle de la Cour suprême en tant que gardienne de la Charte canadienne des droits et libertés, rappelant plusieurs affaires récentes très médiatisées où la Cour s’est prononcée contre les positions du gouvernement. “Ces décisions démontrent qu’au Canada, personne—pas même le gouvernement—n’est au-dessus des lois,” a-t-il affirmé.
Les experts juridiques présents à la conférence ont renforcé l’importance du message de Wagner. Le professeur Emmett Macfarlane de l’Université de Waterloo a déclaré à CO24 Nouvelles que “le juge en chef lance essentiellement un avertissement que le recul démocratique peut se produire n’importe où si nous devenons complaisants envers nos institutions.”
Le discours a également abordé le scepticisme croissant du public envers les experts et les autorités—y compris le pouvoir judiciaire. Wagner a reconnu ce défi directement : “La confiance du public envers les tribunaux ne peut être tenue pour acquise. Nous devons continuellement mériter cette confiance par la transparence, l’accessibilité et des décisions solidement fondées sur le droit plutôt que sur des préférences personnelles.”
Des sondages récents de l’Institut Angus Reid révèlent des tendances préoccupantes, avec seulement 62 % des Canadiens exprimant une forte confiance envers la Cour suprême—une baisse de huit points de pourcentage par rapport à il y a cinq ans. Ce déclin reflète des tendances similaires dans la confiance du public envers d’autres institutions démocratiques.
Le juge en chef a présenté plusieurs initiatives que la Cour suprême entreprend pour contrer cette érosion de la confiance, notamment une accessibilité numérique accrue des procédures judiciaires, des résumés en langage simple des décisions et des programmes d’éducation publique élargis concernant le système juridique canadien.
L’ancienne juge de la Cour suprême Rosalie Abella, qui assistait au discours, a par la suite commenté que le message de Wagner ne pourrait être plus opportun. “Ce que nous observons à l’échelle mondiale, c’est que la transition de la démocratie vers l’autocratie commence souvent par des attaques contre l’indépendance judiciaire,” a-t-elle confié à CO24 Politique. “Le juge en chef a raison de sonner l’alarme maintenant, avant que nous ne fassions face à une véritable crise constitutionnelle.”
Wagner a conclu ses remarques par un appel direct aux professionnels du droit canadiens. “Défendre l’État de droit n’est pas uniquement la responsabilité des juges. Cette responsabilité incombe à chaque avocat, étudiant en droit et citoyen qui accorde de la valeur à vivre dans une société où les droits sont protégés et où le pouvoir est contraint par la loi.”
Alors que le Canada navigue à travers des divisions politiques et sociales de plus en plus complexes, le discours de Wagner soulève une question cruciale pour notre nation : pouvons-nous maintenir notre engagement envers l’indépendance judiciaire et l’État de droit face à des pressions populistes croissantes qui considèrent souvent ces principes comme des obstacles plutôt que comme des piliers de la démocratie?