Dans une maison tranquille de Vancouver remplie de photos de famille et de souvenirs précieux, Lee Carter réfléchit à l’héritage extraordinaire de sa mère, Kay Carter, dont le nom est devenu synonyme du parcours du Canada vers la législation sur l’aide médicale à mourir.
“Ma mère a toujours été claire sur ce qu’elle voulait,” me confie Lee lors de notre entrevue à son domicile. “Elle souffrait de sténose spinale terminale et faisait face à la perspective d’une mort lente et douloureuse. Elle ne voulait pas que son dernier chapitre soit écrit de cette façon.”
Kay Carter, décédée en 2010 à l’âge de 89 ans, est devenue le visage d’une bataille juridique historique qui a fondamentalement transformé l’approche du Canada en matière de soins de fin de vie. Après s’être vu refuser l’option d’aide médicale à mourir dans son pays natal, Kay a pris la difficile décision de se rendre en Suisse, où elle pouvait légalement mettre fin à ses jours selon ses propres conditions.
“Le voyage en Suisse a été épuisant, tant physiquement qu’émotionnellement,” raconte Lee. “Elle a dû prendre des dispositions pendant que son état se détériorait, traverser le globe et dire au revoir aux membres de sa famille qui ne pouvaient pas faire le voyage. Personne ne devrait avoir à quitter son pays pour mourir dans la dignité.”
L’expérience de Kay a incité sa famille à unir ses forces à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique pour lancer ce qui deviendrait l’affaire Carter c. Canada. La contestation juridique soutenait que les interdictions contre l’aide médicale à mourir violaient les droits des Canadiens en vertu de la Charte des droits et libertés.
Dr Ellen Thompson, spécialiste en soins palliatifs à l’Hôpital général de Toronto, explique l’importance de cette affaire : “Avant la décision Carter, de nombreux Canadiens atteints de maladies terminales faisaient face à des choix impossibles. Certains mettaient fin à leurs jours prématurément alors qu’ils en étaient encore physiquement capables, d’autres enduraient des souffrances qu’ils jugeaient intolérables, et ceux qui en avaient les moyens voyageaient à l’étranger pour obtenir une aide à mourir.”
En février 2015, la Cour suprême du Canada a unanimement invalidé l’interdiction de l’aide médicale à mourir, jugeant que cette interdiction violait les droits des Canadiens à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Cette décision a enclenché un processus qui mènerait éventuellement à la légalisation de l’aide médicale à mourir (AMM) dans tout le pays.
Bien que Kay n’ait jamais vécu pour voir les fruits du plaidoyer de sa famille, son influence sur la politique canadienne a été profonde. Depuis l’adoption de la législation sur l’AMM en 2016, des milliers de Canadiens ont choisi cette option, le programme s’étendant pour inclure ceux dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.
“Elle serait satisfaite mais aussi préoccupée par la mise en œuvre,” dit Lee. “Ma mère croyait fermement en l’autonomie et le choix, mais elle croyait aussi aux garanties solides et aux options complètes de soins palliatifs.”
Les statistiques récentes de Santé Canada montrent que 13 241 Canadiens ont reçu l’AMM en 2022, représentant 4,1 % de tous les décès au pays—une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Le programme continue d’évoluer, avec des discussions en cours sur l’extension de l’admissibilité à ceux dont la maladie mentale est la seule condition médicale sous-jacente.
Pour la famille Carter, la victoire juridique représente à la fois un triomphe personnel et public. “Kay a toujours été quelqu’un qui défendait ce en quoi elle croyait,” explique sa fille Price Carter, qui a rejoint Lee dans la bataille juridique. “Elle ne reculait pas quand elle savait que quelque chose n’était pas juste.”
Alors que le Canada continue de naviguer dans les considérations éthiques et pratiques complexes entourant l’AMM, les éthiciens médicaux soulignent l’importance d’équilibrer l’autonomie avec des protections adéquates. “L’évolution de la législation sur l’AMM reflète notre compréhension croissante de la dignité en fin de vie,” note Dr Michael Sanderson de l’Association médicale canadienne. “Mais nous devons nous assurer que les populations vulnérables sont protégées et que choisir la mort ne devient jamais une alternative à des soins et un soutien appropriés.”
Quinze ans après le décès de Kay Carter, son héritage continue de résonner dans toute la société canadienne. Le mouvement pour le droit de mourir qu’elle a aidé à catalyser a fondamentalement modifié la façon dont les Canadiens abordent les décisions de fin de vie, permettant aux individus de faire des choix alignés sur leurs valeurs et leurs circonstances.
Alors que notre société continue de se débattre avec ces questions profondes sur l’autonomie, la dignité et les limites des soins médicaux, une question demeure au cœur de cette conversation nationale en cours : Comment honorons-nous le choix individuel tout en garantissant que notre système de santé fournit un soutien complet pour tous les parcours possibles de fin de vie?