Dans une industrie musicale souvent dominée par des géants corporatifs et des structures de pouvoir établies, le lancement d’Errant Records marque une rupture rafraîchissante avec les pratiques habituelles. Le plus récent label indépendant du Canada, fièrement détenu par une personne transgenre et géré par des membres de la communauté LGBTQ, a officiellement ouvert ses portes cette semaine avec une mission claire : amplifier les voix qui ont historiquement été reléguées aux marges.
“L’industrie musicale a un problème de représentation,” explique la fondatrice Mila Chen, qui a établi Errant Records après quinze ans à naviguer dans le terrain souvent difficile du monde musical. “En tant que femme trans, j’ai été témoin directement de la façon dont le talent est négligé lorsqu’il ne s’insère pas facilement dans des catégories commercialisables. Nous sommes là pour changer cette narration.”
Ce qui rend l’émergence d’Errant particulièrement remarquable n’est pas seulement sa structure de propriété, mais son timing. Le label est lancé dans un moment culturel où les droits des personnes transgenres sont devenus de plus en plus politisés à travers l’Amérique du Nord. Plutôt que d’éviter cette réalité, Chen et son équipe semblent déterminées à y faire face directement, positionnant l’expression artistique authentique comme une forme de résistance.
Le paysage musical canadien a connu une croissance impressionnante en matière de diversité ces dernières années, avec des organisations comme le Prix de musique Polaris qui reconnaissent régulièrement des artistes issus de communautés sous-représentées. Pourtant, des barrières structurelles demeurent fermement en place. Un rapport sectoriel de 2023 a révélé que moins de 3% des postes de direction dans les grands labels canadiens sont occupés par des personnes ouvertement LGBTQ, avec une représentation transgenre quasi inexistante aux niveaux décisionnels.
“La représentation compte non seulement sur scène mais aussi en coulisses,” affirme l’analyste de l’industrie musicale Jordan Levinson. “Quand les personnes qui prennent des décisions sur les artistes à signer et à promouvoir reflètent des expériences diverses, tout l’écosystème en bénéficie. Errant Records ne comble pas seulement un vide – il crée potentiellement un modèle pour l’avenir de l’industrie.”
Le roster initial du label présente un mélange délibérément éclectique d’artistes couvrant des genres allant de l’électronique expérimentale au folk-rock. Ce qui les unit n’est pas un son particulier mais plutôt un engagement envers une narration authentique. Ellis Ray, auteur-compositeur-interprète basé à Montréal et l’une des premières signatures d’Errant, décrit avoir trouvé un foyer où son identité n’est pas traitée comme un angle marketing : “Pour une fois, je n’ai pas à expliquer ou justifier mon existence avant qu’on puisse parler de musique.”
Le modèle d’affaires d’Errant défie également les normes de l’industrie. Le label a adopté une structure de partage des profits qui offre aux artistes des pourcentages de redevances significativement plus élevés que les standards de l’industrie, privilégiant la durabilité plutôt qu’une croissance explosive. De plus, chaque contrat inclut des dispositions pour le soutien en santé mentale et la protection contre le harcèlement – reconnaissant les défis uniques auxquels font face de nombreux artistes LGBTQ.
Le lancement n’a pas été sans défis. Chen reconnaît que l’obtention d’un financement initial a nécessité de la persévérance, plusieurs investisseurs potentiels ayant exprimé des inquiétudes concernant “l’attrait de niche” du label. De telles réponses n’ont fait que renforcer sa conviction : “Quand les gens qualifient quelque chose de ‘niche’, ils révèlent souvent simplement leur propre perspective limitée. Les personnes queer et trans écoutent et créent tous les genres de musique imaginables. Il n’y a rien de niche dans notre humanité.”
La réponse de l’industrie a été prudemment optimiste. Plusieurs grands distributeurs se sont déjà associés à Errant, suggérant une reconnaissance du potentiel artistique et commercial de son approche. Alors que les plateformes de streaming promeuvent de plus en plus des initiatives de diversité, les labels spécifiquement conçus pour découvrir et cultiver des talents issus de communautés sous-représentées pourraient se retrouver avec des avantages stratégiques.
Reste à voir si Errant Records pourra atteindre l’équilibre délicat entre le maintien de ses valeurs fondamentales et l’atteinte d’un public plus large. L’histoire est remplie de labels indépendants qui ont commencé avec des intentions révolutionnaires pour être progressivement absorbés par les systèmes qu’ils contestaient initialement.
Chen semble consciente de cette tension : “Le succès pour nous ne consiste pas à devenir une autre entité corporative. Il s’agit de créer des carrières durables pour des artistes qui méritent d’être entendus, de changer les standards de l’industrie en cours de route, et peut-être – espérons-le – de rendre un peu plus facile pour la prochaine personne de faire ce que nous faisons.”
Dans un paysage culturel où la représentation authentique compte plus que jamais, l’émergence d’Errant Records ressemble à plus qu’un simple lancement d’entreprise. Elle représente une déclaration que les Canadiens transgenres et LGBTQ ne revendiquent pas seulement une place au sein des structures existantes – ils en construisent de nouvelles, conçues pour mieux servir à la fois les artistes et les publics avides de connexions authentiques.
Alors que les premières sorties du label commencent à atteindre les auditeurs dans les mois à venir, la scène musicale canadienne pourrait découvrir que ce que certains ont rejeté comme “niche” était en fait l’avenir qui arrivait juste à temps.