Dans un quartier de Vancouver où les coûts de logement continuent de grimper, Melissa Chen gare sa Honda Civic 2021 dans son allée le vendredi soir. Dès samedi matin, un inconnu la conduira à Whistler pour le week-end, mettant 120 $ dans la poche de Chen grâce à une application de partage de voitures. À trois kilomètres de là, Robert Jennings prépare son jardin pour huit campeurs qui ont réservé son espace via une plateforme en ligne, générant 500 $ pour un seul week-end.
Bienvenue dans l’économie de location entre particuliers en plein essor au Canada, où les Canadiens ordinaires transforment leurs biens personnels en sources de revenus—souvent sans comprendre les implications en matière d’assurance qui pourraient les exposer financièrement.
“Nous voyons de plus en plus de Canadiens monétiser leurs biens personnels—voitures, jardins, piscines—mais beaucoup ne réalisent pas qu’ils créent d’importantes lacunes en matière de responsabilité,” explique Kathryn Manley, experte en assurance au Bureau d’assurance du Canada. “La plupart des polices standard ne sont tout simplement pas conçues pour l’utilisation commerciale de biens personnels.”
Les chiffres racontent une histoire convaincante. Selon des données récentes de l’industrie, les services de partage de voitures entre particuliers au Canada ont augmenté de 43 % en 2023, tandis que les locations de jardins pour le camping et les événements ont augmenté de 67 % depuis 2021. Ces plateformes ont créé environ 1,2 milliard de dollars de revenus supplémentaires pour les Canadiens qui font face aux pressions inflationnistes.
Pour James Lowry, résident de Toronto, louer sa piscine via une application appelée Swimply semblait être une solution parfaite pour compenser les coûts d’entretien. “La piscine me coûte environ 4 000 $ par an pour l’entretien. En la louant 2-3 fois par semaine pendant l’été, j’ai généré plus de 9 000 $,” partage Lowry. “Mais mon courtier d’assurance m’a averti que ma police d’assurance habitation ne couvrirait pas les activités commerciales.”
Cet avertissement représente une lacune critique de connaissances pour de nombreux participants à l’économie de partage. Les polices d’assurance personnelle standard—que ce soit pour les voitures, les maisons ou d’autres biens—excluent généralement la couverture lorsque ces biens sont utilisés à des fins lucratives.
Anne Morris, courtière principale chez Urban Shield Insurance, explique la distinction : “L’assurance personnelle et l’assurance commerciale sont des produits fondamentalement différents. Quand vous louez votre propriété, vous exploitez essentiellement une micro-entreprise, et les polices personnelles comportent des exclusions explicites pour les activités commerciales.”
Ces exclusions peuvent entraîner des conséquences financières dévastatrices. En 2022, un propriétaire de Calgary qui avait loué son jardin pour une réception de mariage a fait face à une réclamation de responsabilité de 175 000 $ après qu’un invité se soit blessé sur la propriété. Sa compagnie d’assurance a refusé la couverture, citant l’exclusion d’usage commercial dans sa police d’assurance habitation.
Certaines plateformes de partage offrent une assurance supplémentaire, mais les experts mettent en garde contre les limitations. “L’assurance des plateformes présente souvent des lacunes importantes ou des franchises élevées,” avertit Morris. “Par exemple, de nombreuses plateformes de partage de voitures offrent une couverture collision mais excluent la couverture de responsabilité au-delà de certains montants, exposant potentiellement les propriétaires de véhicules à des réclamations substantielles.”
Pour les Canadiens qui envisagent de rejoindre l’économie de location entre particuliers, les experts recommandent plusieurs mesures de protection. D’abord, contactez votre assureur avant de mettre en location tout bien pour comprendre les limitations de couverture existantes. Ensuite, envisagez des produits d’assurance spécialisés conçus pour les participants à l’économie de partage, qui ont émergé ces dernières années. Enfin, lisez attentivement les conditions d’assurance des plateformes pour identifier les lacunes potentielles.
L’Agence du revenu du Canada (ARC) ajoute une autre couche de complexité. Les revenus générés par les locations de biens sont généralement imposables, nécessitant une documentation et une déclaration appropriées. “Beaucoup de Canadiens ne réalisent pas qu’ils doivent déclarer ce revenu, ce qui peut créer des problèmes de conformité fiscale,” note le spécialiste fiscal Daniel Wong.
Malgré ces défis, le marché de la location de biens personnels continue de s’étendre alors que les Canadiens cherchent des revenus supplémentaires dans un contexte économique de plus en plus coûteux. Pour Sarah Thompson, résidente de Winnipeg qui loue son allée aux navetteurs du centre-ville, les avantages financiers l’emportent sur les complexités.
“Après avoir obtenu une assurance adéquate et compris les implications fiscales, je gagne encore environ 320 $ par mois grâce à la location de mon allée,” explique Thompson. “Dans l’économie actuelle, cela couvre mes factures d’épicerie qui ne cessent d’augmenter.”
À mesure que ce secteur évolue, les experts de l’industrie prédisent que les assureurs continueront de développer des produits plus adaptés à l’économie de partage. D’ici là, les Canadiens qui se lancent dans la location de biens font face à un impératif clair : comprendre votre couverture avant de remettre vos clés ou d’ouvrir votre portail.
Votre assurance vous soutiendra-t-elle quand vous en aurez le plus besoin? Pour de nombreux Canadiens qui monétisent des biens personnels sans couverture adéquate, cette question reste dangereusement sans réponse.