Alors que le Canada se trouve à la croisée des chemins de son avenir automobile, le gouvernement fédéral fait face à une pression croissante pour finaliser son mandat de vente de véhicules électriques — une politique qui pourrait fondamentalement transformer le paysage des transports du pays pour les décennies à venir.
Clean Energy Canada, un groupe de réflexion influent sur le climat et l’énergie propre, a intensifié ses appels à Ottawa pour qu’il cesse de retarder la mise en œuvre du mandat, qui obligerait les constructeurs automobiles à garantir que 20 % de leurs nouvelles ventes de véhicules soient à zéro émission d’ici 2026, augmentant progressivement à 100 % d’ici 2035.
“Plus nous attendons, plus le Canada recule dans la course mondiale aux VÉ”, a déclaré Merran Smith, directrice exécutive de Clean Energy Canada. “Chaque jour de retard signifie plus de véhicules à essence qui entrent sur nos routes et qui continueront à polluer pendant 15 à 20 ans.”
Le mandat proposé représente une pierre angulaire de la stratégie canadienne de réduction des émissions. Les transports représentent environ 25 % des émissions totales de gaz à effet de serre du pays, ce qui en fait la deuxième source la plus importante après le secteur pétrolier et gazier. Selon Environnement et Changement climatique Canada, la transition vers les véhicules électriques pourrait réduire les émissions jusqu’à 35 millions de tonnes par an d’ici 2050.
Les parties prenantes de l’industrie restent divisées sur cette politique. L’Association canadienne des constructeurs de véhicules a exprimé des préoccupations concernant les délais de mise en œuvre, suggérant qu’ils pourraient être trop ambitieux compte tenu des limitations actuelles de l’infrastructure. Pendant ce temps, des entreprises comme Tesla et BYD ont publiquement soutenu le mandat, y voyant une opportunité d’étendre leur part de marché au Canada.
“Ce que nous voyons est une tension classique entre les impératifs environnementaux et les préoccupations économiques à court terme”, a noté Dr. Werner Antweiler, professeur à l’École de commerce Sauder de l’UBC. “Cependant, les preuves suggèrent que les pays avec des politiques claires sur les VÉ créent finalement des environnements d’investissement plus stables pour les fabricants et les consommateurs.”
L’adoption par les consommateurs présente un autre défi. Bien que les ventes de VÉ aient considérablement augmenté — atteignant 10,8 % des ventes de nouveaux véhicules au troisième trimestre de 2023, contre 8,5 % un an plus tôt — les préoccupations concernant l’infrastructure de recharge, l’autonomie des batteries et les coûts initiaux persistent. Le gouvernement fédéral a investi plus d’un milliard de dollars dans l’infrastructure de recharge et les incitatifs à l’achat, mais des lacunes subsistent, particulièrement dans les communautés rurales et éloignées.
Les politiques provinciales compliquent davantage le paysage national. La Colombie-Britannique et le Québec sont en tête avec leurs propres mandats VZE et ont atteint les taux d’adoption les plus élevés. En revanche, d’autres provinces ont montré une réticence à adopter des mesures similaires, créant une mosaïque de politiques à travers le pays.
Le contexte international ajoute de l’urgence à la décision du Canada. L’Union européenne a approuvé un mandat similaire mettant fin aux ventes de nouveaux moteurs à combustion d’ici 2035, tandis que la Californie — dont le Canada a historiquement suivi les normes de véhicules — a mis en œuvre son propre mandat VZE il y a des années. Alors que les marchés mondiaux évoluent vers l’électrification, le Canada risque de devenir un dépotoir pour les véhicules à combustion s’il ne s’aligne pas sur les tendances internationales.
Les analystes financiers soulignent la dimension économique. “La fabrication automobile représente environ 10 % du PIB manufacturier du Canada”, a déclaré Rebekah Young, économiste à la Banque Scotia. “Sans signaux politiques clairs, les investissements dans la fabrication de VÉ pourraient s’orienter vers des juridictions avec des environnements réglementaires plus prévisibles, particulièrement les États-Unis avec les incitatifs de sa Loi sur la réduction de l’inflation.”
Alors que le gouvernement fédéral délibère, le temps presse tant pour les engagements climatiques que pour la stratégie industrielle. Avec la période de consultation maintenant terminée, tous les regards sont tournés vers le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault, qui devrait annoncer une décision dans les semaines à venir.
Ce qui reste à voir, c’est si le Canada choisira de mener ou de suivre dans la transition mondiale vers la mobilité électrique — et à quel coût pour ses objectifs climatiques, son industrie automobile et sa position dans l’économie émergente du transport propre?