Les couloirs des hôpitaux de Quinte Health sont témoins d’un changement démographique inattendu au sein de leur personnel médical—des médecins américains échangeant leurs pratiques au sud de la frontière contre des opportunités dans le système de santé ontarien. Ce phénomène migratoire, de plus en plus évident en 2024, semble être motivé par une interaction complexe entre l’incertitude politique, les préoccupations d’autonomie professionnelle et les considérations de qualité de vie.
“Nous avons constaté une augmentation notable des candidatures de médecins formés aux États-Unis au cours des huit derniers mois,” révèle Dr. Colin MacPherson, médecin-chef à Quinte Health. “Beaucoup mentionnent explicitement des inquiétudes concernant le climat politique aux États-Unis comme facteur motivant leur déménagement.”
Le moment de cet exode professionnel coïncide avec le cycle électoral américain tumultueux et les préoccupations croissantes concernant les changements politiques potentiels sous différentes administrations. Pour de nombreux médecins, le système de santé universel du Canada, malgré ses défis, représente une stabilité dans un paysage de plus en plus imprévisible.
Dre Jane Philpott, doyenne des sciences de la santé à l’Université Queen’s et ancienne ministre fédérale de la Santé, a observé que cette tendance s’étend au-delà de Quinte Health. “Les professionnels de la santé recherchent des environnements où ils peuvent pratiquer une médecine fondée sur des preuves sans ingérence politique excessive,” explique-t-elle. “Le système canadien, bien qu’imparfait, offre cet équilibre pour de nombreux médecins cherchant à s’installer.”
Au-delà de la politique, les médecins américains citent des avantages professionnels concrets à exercer au Canada. Bien qu’ils gagnent environ 20 à 30% de moins que leurs homologues américains, beaucoup trouvent le compromis valable en considérant la réduction des charges administratives, les coûts d’assurance responsabilité professionnelle moins élevés, et l’absence des protocoles des compagnies d’assurance qui dictent souvent les décisions de traitement dans le système américain.
“Je passais près de 40% de mon temps sur la paperasse et les négociations avec les assurances,” partage Dr. Michael Stavros, qui a récemment rejoint l’équipe de Quinte Health après 12 ans de pratique à Boston. “Ici, je pratique à nouveau la médecine, pas seulement la gestion de la bureaucratie.”
Cette migration représente à la fois une opportunité et un défi pour les systèmes de santé canadiens confrontés à leurs propres pénuries de médecins. Alors que les communautés rurales du Canada ont historiquement eu du mal à attirer et à retenir les médecins, les médecins formés aux États-Unis aident à combler des lacunes critiques dans les régions mal desservies.
Pour les communautés comme celles desservies par Quinte Health, cet afflux est un soulagement bienvenu. “Nous avons pu réduire les temps d’attente dans plusieurs spécialités grâce à nos récentes recrues internationales,” note MacPherson. “Nos patients sont les bénéficiaires ultimes de cette migration professionnelle.”
Ce phénomène n’est pas entièrement nouveau—des modèles de migration similaires se sont produits lors de périodes précédentes d’incertitude politique aux États-Unis. Cependant, les données actuelles suggèrent que l’ampleur pourrait être sans précédent, les autorités de délivrance de licences médicales à travers le Canada signalant des augmentations significatives des demandes de vérification de titres de compétences de médecins américains.
Le processus d’intégration n’est pas sans obstacles. Les exigences de licence varient selon la province, et les médecins doivent naviguer dans un système d’accréditation complexe. De plus, les différences culturelles dans la pratique médicale et les protocoles administratifs nécessitent des périodes d’adaptation même pour les médecins les plus expérimentés.
Pendant ce temps, les analystes économiques suggèrent que cette migration de talents pourrait avoir des implications à plus long terme pour les deux systèmes de santé. Le Canada bénéficie de médecins expérimentés sans supporter les coûts de leur formation, tandis que les États-Unis perdent non seulement des médecins individuels, mais souvent leurs familles et leurs contributions économiques.
Alors que la polarisation politique continue de définir le discours américain à l’approche des élections de novembre, les administrateurs de soins de santé à travers le Canada se préparent à recevoir potentiellement plus de candidats. La question qui demeure est de savoir si cela représente une vague temporaire ou le début d’une redistribution plus permanente des talents médicaux à travers l’Amérique du Nord. Quel impact durable cette migration professionnelle pourrait-elle avoir sur deux systèmes de santé déjà confrontés à des défis importants?