Dans une confrontation juridique sans précédent qui touche au cœur de l’autonomie des soins de santé, une coalition de médecins canadiens a lancé une contestation constitutionnelle contre la controversée loi albertaine sur les soins de santé pour personnes transgenres. L’Association médicale canadienne, aux côtés de plusieurs organisations médicales provinciales, a déposé hier des documents judiciaires soutenant que cette législation dépasse les limites gouvernementales et menace la relation médecin-patient.
Le projet de loi 26 contesté, promulgué en janvier après d’intenses débats provinciaux, exige le consentement parental pour les soins d’affirmation de genre pour les mineurs de moins de 16 ans, interdit certaines procédures médicales pour les moins de 18 ans, et restreint l’utilisation de bloqueurs de puberté et de thérapies hormonales dans les écoles. La première ministre Danielle Smith a défendu ces mesures comme “protégeant les enfants vulnérables”, mais des experts médicaux à travers le Canada ont exprimé leur inquiétude concernant l’ingérence politique dans les pratiques médicales établies.
“Il ne s’agit pas de politique, mais de préserver une médecine fondée sur des preuves,” a déclaré Dre Kathleen Ross, présidente de l’Association médicale canadienne. “Quand les gouvernements dictent des protocoles de traitement contraires aux directives cliniques, ils sapent le fondement même de la prestation des soins de santé dans notre pays.”
La contestation juridique repose sur des arguments constitutionnels selon lesquels la loi viole les droits garantis par l’article 7 à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Selon les documents judiciaires obtenus par CO24, les organisations médicales soutiennent que restreindre l’accès aux soins d’affirmation de genre contredit les normes médicales établies approuvées par les principales associations pédiatriques mondiales.
La ministre de la Santé Adriana LaGrange a répondu à cette contestation en déclarant: “Notre gouvernement reste déterminé à garantir que les parents conservent l’autorité décisionnelle principale concernant les soins de santé de leurs enfants, tout en protégeant les mineurs de procédures médicales irréversibles.” Cette position a trouvé du soutien parmi les groupes de parents conservateurs qui se sont rassemblés à Edmonton pour appuyer la législation.
Cependant, les défenseurs des droits des personnes transgenres soulignent des statistiques troublantes depuis la mise en œuvre de la loi. Le Projet Jeunesse Trans rapporte une augmentation de 47% des appels de crise en santé mentale provenant d’adolescents albertains au cours du premier trimestre suivant l’entrée en vigueur de la loi. “Nous constatons les conséquences réelles de décisions politiques qui contredisent le consensus médical,” a noté Dr Samuel Weiss, spécialiste en pédiatrie à l’Université de Calgary.
La contestation constitutionnelle a des implications significatives au-delà des frontières de l’Alberta. Des efforts législatifs similaires ont émergé en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick, créant ce que certains juristes décrivent comme une mosaïque de réglementations de soins de santé à travers le pays qui pourrait déclencher une intervention fédérale.
“Cette affaire établira probablement un précédent sur la marge de manœuvre des provinces dans la réglementation des pratiques médicales,” a expliqué Catherine McKenzie, experte en droit constitutionnel de l’Université McGill. “Les tribunaux doivent équilibrer la compétence provinciale en matière de soins de santé avec l’autonomie médicale professionnelle et les droits individuels.”
La Société canadienne de pédiatrie a soumis des preuves au tribunal soulignant que les protocoles de soins d’affirmation de genre suivent des directives cliniques rigoureuses et que retarder le traitement peut entraîner des conséquences néfastes sur la santé mentale. Leur déclaration de position note que ces soins “sont dispensés après une évaluation approfondie, un consentement éclairé et une évaluation continue – et non des décisions hâtives comme on les caractérise parfois.”
Des considérations économiques entrent également en jeu dans ce débat. Selon des recherches de l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, les économistes de la santé estiment que l’augmentation des hospitalisations pour problèmes de santé mentale pourrait coûter au système de santé albertain 4,2 millions de dollars supplémentaires par année si les jeunes transgenres ne peuvent pas accéder aux soins appropriés.
Alors que la bataille juridique se déroule devant la Cour du Banc du Roi de l’Alberta, les professionnels de la santé à travers le pays observent attentivement. L’affaire soulève des questions fondamentales sur qui contrôle ultimement les décisions de soins de santé au Canada: les élus ou les experts médicaux guidés par les preuves scientifiques et les normes professionnelles?
Dans un système de santé déjà mis à rude épreuve par les pressions post-pandémiques, cette contestation constitutionnelle force les Canadiens à affronter une question profonde: lorsque l’idéologie politique et la science médicale s’affrontent, quelle autorité devrait prévaloir pour déterminer les soins appropriés pour nos citoyens les plus vulnérables?