Dans une démarche sans précédent qui a suscité de vives critiques, le gouvernement fédéral utilise des préoccupations de sécurité nationale pour retenir des informations dans une affaire judiciaire concernant des allégations de violence conjugale au sein des Forces armées canadiennes. Cette décision controversée a déclenché un débat intense sur la transparence, la responsabilité et les droits des victimes dans les forces armées du Canada.
L’affaire concerne une femme qui affirme avoir subi des abus physiques et psychologiques de la part de son ancien partenaire, membre des Forces armées canadiennes. Ses tentatives d’accéder à des informations cruciales ont été systématiquement bloquées par des responsables gouvernementaux qui prétendent que la divulgation de ces détails pourrait compromettre les opérations de sécurité nationale.
“C’est un précédent profondément troublant,” déclare Elaine Craig, professeure de droit à l’Université Dalhousie spécialisée en droit des agressions sexuelles. “Quand le gouvernement invoque la sécurité nationale pour potentiellement protéger les auteurs de violence conjugale, cela envoie un message glaçant aux victimes au sein des communautés militaires.”
La femme, dont l’identité reste protégée, cherche à obtenir des documents relatifs au service militaire et à l’historique disciplinaire de son ancien partenaire—des informations que son équipe juridique considère essentielles pour établir un schéma comportemental et assurer sa sécurité. Les avocats du gouvernement ont cependant déposé plusieurs demandes pour bloquer ces requêtes en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, qui permet la suppression d’informations pouvant nuire aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité.
Les experts en justice militaire soulignent qu’il semble s’agir du premier cas connu où des revendications de sécurité nationale ont été utilisées dans une affaire de violence conjugale impliquant du personnel militaire. Cette décision a suscité de vives critiques de la part des groupes de défense des victimes à travers le Canada.
Maya Roy, PDG de YWCA Canada, a exprimé son inquiétude quant aux implications plus larges: “Lorsque les systèmes privilégient la protection institutionnelle plutôt que la sécurité des victimes, nous créons des environnements dangereux où les abus peuvent prospérer. Cette affaire illustre pourquoi de nombreuses femmes dans les familles militaires hésitent à se manifester.”
La controverse émerge dans un contexte d’efforts continus pour lutter contre l’inconduite sexuelle et la violence fondée sur le genre au sein de l’armée canadienne. Un récent rapport de Statistique Canada a révélé que 46% des femmes dans les Forces armées canadiennes ont subi une forme de harcèlement, avec des taux de violence conjugale nettement plus élevés dans les familles militaires par rapport aux ménages civils.
Le ministre de la Défense, Bill Blair, a défendu la position du gouvernement, déclarant: “Nous prenons très au sérieux toutes les allégations de violence conjugale, mais nous devons également protéger les informations qui pourraient compromettre la sécurité opérationnelle ou mettre le personnel en danger.” Il a toutefois refusé d’expliquer comment les dossiers d’une affaire de violence conjugale pourraient spécifiquement menacer la sécurité nationale.
Les critiques de l’opposition ont été prompts à condamner l’approche du gouvernement. Lindsay Mathyssen, critique du NPD en matière de défense, l’a qualifiée de “protection institutionnelle se faisant passer pour de la sécurité nationale“, tandis que Raquel Dancho, critique conservatrice en matière de sécurité publique, a exigé une plus grande transparence et responsabilité dans la politique militaire.
Les experts juridiques suggèrent que cette affaire met en lumière la tension entre les protocoles de sécurité nécessaires et les droits des victimes. L’ancien juge militaire, le colonel Michel Drapeau, note: “Il existe des préoccupations légitimes de sécurité nationale dans les contextes militaires, mais elles ne devraient jamais être utilisées comme arme pour entraver la justice dans les cas d’abus présumés. Le gouvernement doit trouver un équilibre qui protège à la fois les intérêts de sécurité et les droits des victimes.”
Alors que cette affaire suit son cours devant les tribunaux, elle soulève des questions profondes sur les dynamiques de pouvoir au sein des institutions militaires et sur la mesure dans laquelle les revendications de sécurité nationale devraient protéger les informations dans les cas d’abus présumés. Pouvons-nous vraiment prétendre protéger notre nation si nous ne parvenons pas à protéger ceux qui subissent des violences au sein même des institutions chargées de notre défense?