La gelée matinale s’accrochait encore au centre-ville d’Ottawa lorsque le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, s’est avancé au podium la semaine dernière, son ton mesuré dissimulant la complexité du paysage économique actuel du Canada. Après avoir maintenu le taux d’intérêt directeur à 4,5 % pour la troisième fois consécutive, l’optimisme prudent de Macklem concernant la trajectoire à la baisse de l’inflation s’accompagnait de réserves importantes que les investisseurs et les Canadiens ordinaires devraient prendre en compte.
“Nous observons des signes encourageants, mais la bataille contre l’inflation n’est pas terminée,” a déclaré Macklem, faisant référence à l’indice des prix à la consommation d’avril qui est tombé à 3,3 %, en baisse par rapport aux 4,3 % de mars. “L’inflation sous-jacente reste élevée, et nous avons besoin de preuves supplémentaires avant de prendre des mesures décisives.”
L’hésitation de la Banque découle d’un tableau d’inflation complexe qui manque de clarté dans plusieurs domaines cruciaux. Bien que l’inflation globale se soit refroidie, les pressions sous-jacentes sur les prix demeurent obstinément persistantes. Les données montrent des tendances divergentes : l’inflation des biens s’est modérée considérablement, mais l’inflation des services continue de progresser à un rythme soutenu d’environ 4,5 %.
L’économiste principal de la Banque TD, James Orlando, a expliqué le dilemme auquel sont confrontés les décideurs politiques : “La Banque est prise entre des indicateurs contradictoires. Les chaînes d’approvisionnement se sont normalisées, faisant baisser les prix des biens, mais l’inflation des services intérieurs, alimentée par la croissance des salaires et les coûts du logement, reste élevée.”
Les coûts du logement représentent un défi particulier. Malgré des taux d’intérêt plus élevés qui ont temporairement refroidi le marché immobilier, les derniers mois ont montré une accélération renouvelée des prix dans les principaux marchés. Vancouver et Toronto ont enregistré des augmentations de prix mensuelles dépassant 3 % dans certains segments, suggérant que la composante logement de l’inflation pourrait résister aux efforts de la banque centrale.
Le marché du travail présente une autre pièce du puzzle qui ne correspond pas tout à fait au modèle économique traditionnel. Malgré six hausses consécutives des taux d’intérêt, le chômage reste proche de ses plus bas historiques à 5,2 %. Ce marché du travail tendu continue de stimuler une croissance des salaires supérieure à 4 % par an, alimentant potentiellement l’inflation des services.
“Ce qui rend ce cycle unique, c’est la résilience de l’emploi malgré un resserrement monétaire agressif,” a noté l’économiste de Desjardins, Royce Mendes. “La Banque s’attendait à ce que des taux plus élevés refroidissent davantage la demande de main-d’œuvre à ce stade.”
Des facteurs mondiaux compliquent davantage les perspectives d’inflation du Canada. Bien que les prix de l’énergie se soient modérés par rapport à leurs sommets de 2022, les tensions géopolitiques menacent de nouvelles perturbations d’approvisionnement. Pendant ce temps, les défis agricoles liés au climat ont maintenu l’inflation alimentaire à un niveau élevé de 7,4 % d’une année sur l’autre, bien au-dessus de l’IPC global.
Le Rapport trimestriel sur la politique monétaire de la banque centrale a souligné une autre préoccupation : les attentes d’inflation restent “collantes” parmi les entreprises et les consommateurs. Les données d’enquête indiquent que de nombreux Canadiens s’attendent encore à ce que l’inflation dépasse 3 % jusqu’en 2024, créant potentiellement une prophétie auto-réalisatrice alors que les travailleurs cherchent des salaires plus élevés et que les entreprises augmentent leurs prix par anticipation.
Pour les ménages canadiens qui naviguent dans cette incertitude, les implications sont significatives. Le détenteur moyen d’un prêt hypothécaire à taux variable a vu ses paiements augmenter d’environ 45 % depuis début 2022. Selon Statistique Canada, le ratio du service de la dette des ménages canadiens a atteint 15,2 % au premier trimestre 2023, approchant des niveaux records.
“Nous approchons d’une période cruciale où l’impact cumulatif des hausses de taux se matérialisera pleinement dans l’économie,” a averti l’économiste en chef adjoint de RBC, Nathan Janzen. “Environ 50 % des prêts hypothécaires à taux fixe seront renouvelés à des taux significativement plus élevés au cours des 18 prochains mois.”
La Banque du Canada se trouve maintenant sur la corde raide – maintenant des taux suffisamment restrictifs pour maîtriser l’inflation sans déclencher un grave ralentissement économique. Les marchés financiers anticipent actuellement une possible baisse des taux d’ici octobre, mais Macklem s’est opposé à de telles attentes, soulignant la nécessité de preuves plus claires d’un progrès durable vers l’objectif de 2 %.
Pour l’instant, les Canadiens doivent se préparer à une période prolongée de taux d’intérêt élevés. Les conseillers financiers recommandent de tester la résistance des budgets des ménages face à des coûts d’emprunt potentiellement plus élevés jusqu’en 2024, tandis que les entreprises pourraient devoir réévaluer les plans d’expansion qui dépendent d’un financement moins coûteux.
À l’approche de l’été, tous les regards seront tournés vers le rapport sur l’inflation de juin pour obtenir des signaux plus clairs sur la suffisance de la position actuelle de la Banque. D’ici là, l’incertitude reste la seule certitude dans le tableau économique complexe du Canada.
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