À l’ombre du mont Royal, l’industrie autrefois florissante du cinéma et de la télévision de Montréal connaît un ralentissement sans précédent, laissant des professionnels chevronnés comme Marc Leblanc, monteur de films de 45 ans, à la recherche d’une stabilité financière. Ce père de deux enfants, qui a bâti une carrière de 20 ans dans le montage de documentaires et de séries télévisées, se trouve maintenant confronté à une réalité alarmante : ses revenus ont chuté de près de 60 % par rapport aux niveaux d’avant la pandémie.
“Je n’ai jamais vu ça aussi mauvais,” a confié Leblanc à CO24 lors d’une entrevue dans son modeste studio situé dans le quartier du Plateau à Montréal. “Des projets qui auraient été approuvés sans question il y a trois ans sont maintenant reportés indéfiniment. Mes clients réguliers ne m’appellent tout simplement plus.”
La crise reflète des changements structurels plus larges dans le secteur du divertissement canadien, où les services de diffusion en continu ont transformé l’économie de la production alors que, simultanément, les crédits d’impôt provinciaux sont devenus moins compétitifs par rapport à d’autres provinces canadiennes. Selon les données du Conseil québécois du cinéma et de la télévision, le volume de production à Montréal a diminué d’environ 35 % au cours de la dernière année seulement, représentant des centaines de millions en activité économique perdue.
Les analystes de l’industrie pointent vers plusieurs facteurs créant cette tempête parfaite. “Nous assistons à la confluence des corrections budgétaires post-pandémiques, des conflits de travail à Hollywood qui ont retardé de nombreuses productions, et la structure d’incitatifs fiscaux du Québec devenant moins attrayante par rapport à l’Ontario et la Colombie-Britannique,” explique Élise Tremblay, économiste spécialisée en industrie du divertissement à l’Université de Montréal.
Pour Leblanc, les implications financières sont désastreuses. Son revenu mensuel est tombé à environ 3 200 $, couvrant à peine son hypothèque de 1 800 $, son paiement de voiture de 450 $ et 1 200 $ en dépenses générales de subsistance pour sa famille. Ses économies d’urgence, autrefois robustes à 35 000 $, ont fondu à seulement 8 000 $ après des mois de prélèvements sur ses réserves pour joindre les deux bouts.
L’Institut économique de Montréal estime que chaque emploi dans l’industrie cinématographique soutient environ 2,5 emplois supplémentaires dans l’économie locale, ce qui signifie que le ralentissement actuel affecte bien plus que les travailleurs directs de l’industrie. Les restaurants, les entreprises de location d’équipement, les boutiques de costumes et divers fournisseurs de services signalent tous des baisses significatives de revenus.
Les responsables municipaux ont pris note de la situation. Le bureau de développement économique de Montréal a récemment annoncé un groupe de travail pour faire face à la crise de l’industrie. “Nous reconnaissons l’importance culturelle et économique de notre secteur du cinéma et de la télévision,” a déclaré la vice-mairesse Sophie Masson. “Nous explorons des incitatifs supplémentaires et des initiatives de marketing pour ramener les productions dans notre ville.”
Pour les travailleurs comme Leblanc, cependant, des solutions immédiates sont nécessaires. Les groupes de l’industrie plaident pour des crédits d’impôt provinciaux améliorés et des incitatifs à la production pour égaler les juridictions concurrentes. “Quand les producteurs peuvent économiser 15 % en tournant à Toronto plutôt qu’à Montréal, la décision devient douloureusement simple d’un point de vue commercial,” note Jean-Philippe Bernier, président de l’Association québécoise des techniciens du film.
Entre-temps, Leblanc poursuit plusieurs stratégies de survie. Il a élargi sa recherche pour inclure des travaux vidéo d’entreprise, explore des opportunités de montage à distance avec des sociétés de production à travers l’Amérique du Nord, et envisage d’enseigner à temps partiel dans des écoles de cinéma locales. “J’ai passé des décennies à développer mes compétences dans cette industrie,” dit-il. “Recommencer à 45 ans semble impossible, mais l’adaptation est nécessaire.”
Alors que le secteur du divertissement montréalais est aux prises avec ces réalités difficiles, la question se pose : le Québec peut-il retrouver sa position de destination de premier plan pour la production cinématographique, ou sommes-nous témoins d’un changement structurel permanent qui modifiera à jamais le paysage pour des milliers de professionnels créatifs qui appellent cette province leur chez-soi?