Dans un mouvement de contre-courant face à la montée du discours souverainiste en Alberta, l’ancien vice-premier ministre Thomas Lukaszuk a lancé une pétition qui gagne rapidement du terrain dans toute la province. L’initiative “Fier d’être Canadien” a déjà recueilli plus de 5 200 signatures depuis son lancement la semaine dernière, révélant un important courant de sentiment pro-fédération qui contraste avec la position de plus en plus affirmée de la première ministre Danielle Smith sur l’autonomie provinciale.
“Ce qui a commencé comme une petite voix est devenu un chœur,” m’a confié Lukaszuk lors de notre entretien exclusif dans son bureau d’Edmonton. “Des Albertains ordinaires m’ont fait part de leurs préoccupations concernant le discours souverainiste qui domine notre débat provincial. Ils m’ont demandé : où est la voix de ceux d’entre nous qui sont fiers d’être Canadiens avant tout?”
La pétition survient à un moment critique dans les relations entre l’Alberta et Ottawa. Le gouvernement de Mme Smith a récemment adopté la controversée Loi sur la souveraineté de l’Alberta au sein d’un Canada uni, une législation qui, selon les critiques, crée un cadre constitutionnel permettant potentiellement de rejeter les lois fédérales. De plus, l’utilisation fréquente par Smith d’une rhétorique souverainiste et ses défis à la juridiction fédérale ont intensifié le débat sur l’unité nationale au sein de la province.
Lukaszuk, qui a été député progressiste-conservateur de 2001 à 2015, insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une initiative partisane. “Cette pétition transcende les affiliations politiques. Nous avons des signatures de conservateurs, de libéraux et de tous les autres. Le fil conducteur est la conviction que l’avenir de l’Alberta est plus brillant au sein d’une fédération canadienne forte.”
Des analystes politiques notent que la croissance rapide de la pétition suggère que le programme de souveraineté de la première ministre Smith pourrait ne pas trouver autant d’écho que prévu. Dr Janet Riverton, politologue à l’Université de Calgary, souligne des données significatives qui appuient cette évaluation.
“Nos récents sondages montrent qu’environ 62% des Albertains s’inquiètent d’une rhétorique qui pourrait affaiblir l’unité nationale,” a expliqué Riverton. “Bien qu’il y ait une frustration réelle face à certaines politiques fédérales, la plupart des Albertains ne voient pas la séparation ou la confrontation constitutionnelle comme la solution.”
La pétition appelle spécifiquement le gouvernement de l’Alberta à “se concentrer sur un dialogue constructif avec Ottawa plutôt que sur un affrontement constitutionnel” et à “réaffirmer l’engagement de l’Alberta envers la confédération canadienne tout en défendant les intérêts provinciaux.”
Le bureau de la première ministre Smith a répondu aux questions concernant la pétition par une déclaration soulignant que “défendre les droits constitutionnels de l’Alberta renforce plutôt qu’affaiblit la confédération.” La déclaration a également fait valoir que “le véritable fédéralisme exige que les provinces protègent vigilamment leur juridiction.”
Cependant, Lukaszuk reste peu convaincu par ce raisonnement. “Il y a une profonde différence entre défendre les intérêts de l’Alberta et créer un cadre de confrontation constitutionnelle,” a-t-il déclaré. “L’un renforce notre position de négociation; l’autre affaiblit potentiellement les fondements de notre fédération.”
Les considérations économiques figurent également en bonne place dans la justification de la pétition. Les leaders économiques de l’Alberta ont de plus en plus exprimé leurs préoccupations quant à l’impact potentiel de la rhétorique souverainiste sur la confiance des investisseurs et la stabilité économique. L’économie de la province, fortement intégrée aux chaînes d’approvisionnement nationales et dépendante du commerce transfrontalier, pourrait faire face à des perturbations importantes si les relations fédérales-provinciales se détérioraient davantage.
Sarah Henderson, PDG du Conseil économique de l’Alberta, note que “l’incertitude réglementaire est l’ennemie de l’investissement. Lorsque les entreprises perçoivent une instabilité constitutionnelle, elles hésitent à engager des capitaux.”
Les organisateurs de la pétition prévoient de présenter leurs signatures à l’assemblée législative provinciale une fois qu’ils auront atteint 10 000, un jalon qu’ils espèrent atteindre dans quelques semaines compte tenu des tendances actuelles. Ils organisent également des discussions communautaires dans toute la province pour faciliter le dialogue sur la place de l’Alberta dans la confédération.
Alors que ce mouvement populaire prend de l’ampleur, il soulève une question fondamentale qui résonne bien au-delà des frontières de l’Alberta : à l’ère d’un fédéralisme de plus en plus polarisé, les Canadiens peuvent-ils trouver une approche équilibrée qui respecte l’autonomie provinciale tout en préservant les liens essentiels de la confédération?
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