Dans une manœuvre juridique sans précédent qui souligne les tensions croissantes entre les responsabilités provinciales et fédérales, la Nouvelle-Écosse a intenté une poursuite contre le gouvernement fédéral concernant la protection de l’isthme de Chignecto, ce lien terrestre crucial qui relie la province au reste du Canada.
Cette étroite bande de terre, qui constitue la seule connexion physique de la Nouvelle-Écosse avec le Nouveau-Brunswick et le continent canadien, est de plus en plus vulnérable aux inondations et à l’érosion causées par la montée du niveau de la mer. Selon les responsables provinciaux, l’isthme pourrait être définitivement rompu par des ondes de tempête dès 2050 sans intervention significative.
“Il ne s’agit pas seulement d’infrastructure—c’est notre droit constitutionnel de rester physiquement connectés au Canada,” a déclaré le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, lors d’une conférence de presse annonçant l’action en justice. “Lorsque les pères de la Confédération ont fait entrer la Nouvelle-Écosse dans le Canada, ils l’ont fait avec la compréhension que cette connexion serait maintenue.”
La poursuite, déposée devant la Cour fédérale, soutient qu’Ottawa a une obligation constitutionnelle en vertu de l’article 92(10) de la Loi constitutionnelle de protéger les liens de transport entre les provinces. Les avocats provinciaux affirment que cette responsabilité s’étend au territoire physique qui soutient les infrastructures de transport nationales critiques.
Le différend découle d’un désaccord prolongé concernant un plan d’atténuation de 400 millions de dollars élaboré conjointement par la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et les responsables fédéraux. Malgré trois ans de planification et des menaces climatiques croissantes, le gouvernement fédéral n’a pas encore engagé sa part du financement pour le projet.
Le ministre fédéral de l’Infrastructure, Sean Fraser, lui-même néo-écossais, a exprimé sa surprise face à cette action en justice, déclarant que “les litiges accélèrent rarement les projets d’infrastructure.” Le gouvernement fédéral maintient que les discussions sur les modalités de financement sont toujours en cours.
L’isthme de Chignecto voit transiter environ 50 millions de dollars de marchandises quotidiennement via la Transcanadienne et la ligne du CN Rail. Son importance pour l’économie canadienne est incontestable, les experts de l’Université Dalhousie avertissant que des inondations temporaires pourraient provoquer des perturbations immédiates de la chaîne d’approvisionnement dans tout le Canada atlantique.
“Il s’agit fondamentalement de sécurité nationale et de stabilité économique,” a déclaré Dre Kate Sherren, chercheuse à l’Université Dalhousie qui étudie l’isthme. “La séparation potentielle de la Nouvelle-Écosse du continent canadien créerait des défis logistiques sans précédent qui affecteraient tout, de la sécurité alimentaire aux services d’urgence.”
L’affaire soulève des questions complexes sur la responsabilité fédérale concernant l’infrastructure d’adaptation climatique à une époque de menaces environnementales croissantes. Les experts constitutionnels notent que cela pourrait établir d’importants précédents sur la façon dont le Canada traite les vulnérabilités climatiques affectant les connexions interprovinciales.
Pendant ce temps, les résidents des communautés frontalières comme Amherst, en Nouvelle-Écosse, et Sackville, au Nouveau-Brunswick, observent avec anxiété alors que leur avenir est suspendu à cette bataille juridique. Les propriétaires d’entreprises locales font état de préoccupations croissantes concernant la valeur des propriétés et la stabilité économique à long terme.
“Nous parlons de l’isolement potentiel de près d’un million de Canadiens,” a déclaré le maire d’Amherst, David Kogon. “Ce n’est pas un exercice théorique—il s’agit de préserver des communautés qui existent depuis des générations.”
Alors que le changement climatique accélère l’érosion côtière le long de la baie de Fundy, qui connaît les plus hautes marées du monde, la fenêtre d’intervention efficace continue de se rétrécir. Les évaluations techniques indiquent que sans renforcement substantiel, même des tempêtes modérées pourraient éventuellement rompre l’isthme.
Alors que cette affaire historique progresse devant les tribunaux, une question fondamentale émerge: à l’ère de l’urgence climatique, qui porte la responsabilité ultime de protéger l’intégrité physique de notre nation lorsque les forces naturelles menacent de redessiner la carte du Canada?