Dans une contestation juridique historique qui pourrait redéfinir les normes de sécurité agricole à travers le Canada, Santé Canada fait face à une pression croissante alors que des travailleurs agricoles et des organisations de défense ont déposé une poursuite alléguant un échec systémique dans la protection des ouvriers agricoles contre l’exposition dangereuse aux pesticides.
La poursuite, déposée cette semaine devant la cour fédérale, soutient que Santé Canada a constamment privilégié les intérêts de l’industrie au détriment de la sécurité des travailleurs en permettant l’utilisation continue de pesticides qui ont été interdits dans d’autres pays développés en raison de leurs risques documentés pour la santé.
“Les travailleurs agricoles tombent dans d’énormes lacunes réglementaires tout en étant exposés à des produits chimiques liés au cancer, aux dommages neurologiques et aux problèmes reproductifs,” a déclaré Maria Hernandez, avocate principale des plaignants et directrice de l’Alliance canadienne des travailleurs agricoles. “Ces personnes comptent parmi nos travailleurs les plus vulnérables, souvent des immigrants et des travailleurs étrangers temporaires qui craignent de signaler des maladies ou des blessures.”
L’action en justice cible l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada, qui, selon les plaignants, a ignoré des preuves scientifiques substantielles documentant les effets néfastes sur la santé. Les documents judiciaires révèlent que les travailleurs agricoles canadiens connaissent des taux d’exposition aux produits chimiques 64% plus élevés que la population générale, les programmes de surveillance détectant des niveaux préoccupants de métabolites de pesticides dans leurs échantillons de sang et d’urine.
“Ce que nous observons est un échec systématique dans l’application du principe de précaution qui est censé guider notre approche réglementaire,” a expliqué le Dr Robert Chen, toxicologue à l’Université de Toronto, qui n’est pas impliqué dans le litige mais qui étudie les effets des pesticides depuis trois décennies. “Lorsque la science démontre des risques potentiels, le fardeau ne devrait pas incomber aux travailleurs de prouver qu’ils sont empoisonnés.”
Santé Canada a refusé de commenter spécifiquement le litige en cours, mais la porte-parole Jennifer Morrison a déclaré que “le ministère prend ses responsabilités réglementaires au sérieux et examine continuellement les preuves scientifiques pour s’assurer que tous les produits approuvés respectent les normes de sécurité élevées du Canada.”
Les représentants de l’industrie soutiennent que les réglementations actuelles sont suffisantes. “Les producteurs agricoles canadiens suivent certains des protocoles d’application les plus stricts au monde,” a affirmé Andrew Blackwell de l’Association canadienne des produits agricoles. “Cette poursuite ignore les importantes mesures de sécurité déjà en place.”
Cependant, des documents internes obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information et déposés comme preuves suggèrent que des responsables de Santé Canada étaient conscients des préoccupations de sécurité mais ont retardé l’action réglementaire. Dans un courriel de 2022, un haut responsable de l’ARLA a reconnu que “des considérations politiques” influençaient le calendrier des examens des pesticides.
Pour les travailleurs touchés comme Miguel Santos, travailleur saisonnier dans les champs de tomates de l’Ontario depuis huit ans, la poursuite représente un espoir de changement. “J’ai développé des problèmes respiratoires, des maux de tête et des éruptions cutanées que les médecins ont liés aux produits chimiques,” a déclaré Santos par l’intermédiaire d’un interprète. “Mais nous n’avons pas le choix—c’est travailler ou mourir de faim.”
Le paysage politique canadien a connu des tensions croissantes entre le pouvoir de lobbying de l’industrie agricole et la demande publique grandissante pour des protections environnementales et sanitaires plus strictes. Plusieurs provinces canadiennes ont tenté de mettre en œuvre leurs propres réglementations plus strictes sur les pesticides, créant une mosaïque de protections que les plaignants estiment devoir être standardisées au niveau fédéral.
Les experts en droit environnemental suggèrent que l’affaire pourrait établir d’importants précédents en matière de responsabilité réglementaire. “Cette poursuite pose des questions fondamentales sur la capacité de notre système réglementaire à remplir son mandat de protection de la santé publique,” a expliqué Elizabeth Warren, professeure de droit environnemental à l’Université Dalhousie. “Les tribunaux devront déterminer si Santé Canada a agi raisonnablement compte tenu des preuves scientifiques disponibles.”
Les implications économiques pèsent également lourdement dans le débat. Les analystes commerciaux notent que, bien que la transition vers des alternatives plus sûres puisse augmenter les coûts à court terme, les tendances du marché international suggèrent que les exportations agricoles canadiennes pourraient bénéficier de normes plus strictes, les consommateurs mondiaux exigeant de plus en plus des produits sans produits chimiques.
Alors que la nouvelle de cette poursuite se répand dans la communauté agricole, elle soulève une question cruciale qui dépasse les technicités juridiques : dans un pays qui s’enorgueillit de ses normes progressistes en matière de santé et de sécurité, notre système de production alimentaire devrait-il continuer à exposer ses travailleurs les plus vulnérables à des produits chimiques jugés trop dangereux pour être utilisés dans l’Union européenne, en Australie et dans d’autres juridictions comparables?