Dans une démonstration de solidarité sans précédent, plus de 300 organisations de défense des libertés civiles, défenseurs de la vie privée et experts juridiques se sont unis pour s’opposer au projet de loi fédéral controversé sur les frontières, avertissant qu’il pourrait fondamentalement redéfinir les droits à la vie privée des Canadiens. La coalition a remis hier une lettre sévère sur la Colline du Parlement, faisant valoir que le projet de loi C-23, connu sous le nom de Loi sur la modernisation des services frontaliers, accorde aux agents frontaliers des pouvoirs de surveillance excessifs avec des mécanismes de surveillance inadéquats.
“Cette législation représente l’expansion la plus importante de l’autorité de surveillance frontalière que nous ayons vue depuis une génération,” a déclaré Laura Thompson, directrice exécutive de la Coalition canadienne des droits numériques. “Le projet de loi crée essentiellement une infrastructure de surveillance qui pourrait suivre les déplacements des Canadiens à travers les frontières avec une surveillance judiciaire minimale.”
Au cœur de la controverse se trouvent les dispositions du projet de loi permettant aux agents frontaliers de collecter des données biométriques—y compris des scans de reconnaissance faciale—de tous les voyageurs entrant au Canada, avec des restrictions limitées sur la durée de conservation de ces informations ou avec qui elles peuvent être partagées. Selon la loi actuelle, cette collecte de données nécessite une suspicion raisonnable de violations légales ou une approbation judiciaire dans la plupart des circonstances.
Le Commissaire à la protection de la vie privée Philippe Martin a exprimé des “préoccupations profondes” quant aux implications du projet de loi. Dans son témoignage devant le Comité parlementaire sur la sécurité publique, Martin a noté que la législation proposée “crée un déséquilibre préoccupant entre les objectifs de sécurité et les protections fondamentales de la vie privée auxquelles les Canadiens s’attendent depuis longtemps.”
Le gouvernement a défendu ces mesures comme des modernisations nécessaires pour faire face à l’évolution des menaces sécuritaires. La ministre de la Sécurité publique Catherine Hughes a déclaré aux journalistes lors d’une conférence de presse la semaine dernière que le projet de loi “fournit aux agents frontaliers les outils dont ils ont besoin tout en maintenant des garanties appropriées.”
Cependant, des experts juridiques du Citizen Lab de l’Université de Toronto ont identifié des dispositions troublantes qui pourraient permettre le partage d’informations avec des gouvernements étrangers sans surveillance judiciaire. “Le langage du projet de loi est inutilement large et manque de précision sur quand et comment les données peuvent être partagées à l’international,” a expliqué Dr. Michael Zhang, directeur du laboratoire.
Les organisations autochtones ont exprimé une inquiétude particulière, notant que de nombreuses communautés des Premières Nations s’étendent de part et d’autre de la frontière canado-américaine. “Pour les peuples autochtones dont les territoires traditionnels traversent les frontières coloniales, cela représente une couche supplémentaire de surveillance et de discrimination potentielle,” a déclaré Jennifer Cardinal de l’Assemblée des Premières Nations.
Les leaders d’entreprises ont exprimé des réactions mitigées. La Chambre de commerce du Canada a soutenu certains aspects du projet de loi visant à accélérer les passages frontaliers pour les voyageurs dignes de confiance, tout en exprimant des réserves concernant les politiques de conservation des données qui pourraient affecter les voyageurs d’affaires internationaux.
Le débat parlementaire sur le projet de loi reprend la semaine prochaine, le gouvernement signalant son ouverture à des amendements répondant à certaines préoccupations. Les partis d’opposition ont déjà déposé de nombreuses modifications proposées, bien que les critiques soutiennent qu’elles ne vont pas assez loin pour résoudre les défauts fondamentaux.
Alors que le Canada navigue dans cette législation controversée, une question plus large émerge sur l’équilibre approprié entre la sécurité nationale et les libertés civiles dans un monde de plus en plus numérique. Avec des technologies qui progressent plus rapidement que les cadres réglementaires, pouvons-nous créer des systèmes de sécurité frontalière qui protègent à la fois nos frontières physiques et numériques sans éroder les droits à la vie privée qui définissent une société libre?