Dans une collision inattendue entre la défense de la santé et la politique économique, la Société canadienne du cancer a soulevé d’importantes préoccupations concernant le projet de loi sur le commerce intérieur proposé par Mark Carney, avertissant qu’il pourrait compromettre des réglementations cruciales en matière de santé et les mesures de lutte antitabac à travers le pays. L’intervention de la Société survient à un moment critique alors que Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et envoyé des Nations Unies pour le climat, se positionne pour une éventuelle course à la direction du Parti libéral.
La controverse porte sur la recommandation de Carney d’établir une “charte économique” dans le cadre de l’Accord de libre-échange canadien – une proposition que les défenseurs de la santé craignent de voir privilégier les intérêts des entreprises au détriment des protections de la santé publique. Selon des documents internes obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information, la Société du cancer a identifié de sérieux risques pour l’autorité provinciale en matière de réglementation de la santé.
“Les modifications proposées créeraient un dangereux précédent en permettant aux entreprises de contester des mesures sanitaires légitimes par le biais d’un arbitrage contraignant”, a déclaré Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. “Nous avons vu comment des dispositions similaires dans les accords commerciaux internationaux ont été utilisées par les compagnies de tabac pour combattre des réglementations qui sauvent des vies.”
Le problème concerne la façon dont le projet de loi pourrait potentiellement limiter la capacité des provinces à mettre en œuvre des réglementations sanitaires plus strictes que celles établies au niveau fédéral. Les experts en santé publique soulignent des initiatives provinciales réussies, comme les règles pionnières de la Colombie-Britannique sur l’emballage neutre des produits du tabac – des mesures qui dépassaient les normes fédérales et sont devenues plus tard le modèle de la législation nationale.
Les préoccupations de la Société du cancer mettent en lumière l’équilibre délicat entre la promotion du commerce intérieur et la préservation de la flexibilité réglementaire pour la santé publique. Dans une analyse approfondie publiée la semaine dernière, l’organisation a averti que forcer l’harmonisation réglementaire entre les provinces pourrait effectivement créer une “course vers le bas” pour les normes de santé.
Contacté pour commentaire, le bureau de Carney a souligné que la proposition vise à réduire les barrières commerciales qui fragmentent l’économie canadienne, notant que des exceptions réfléchies pour la santé publique pourraient être incorporées. “Il s’agit de rendre le Canada plus compétitif tout en s’assurant que des garanties appropriées restent en place”, a déclaré un porte-parole.
Cependant, les experts en politique de santé demeurent sceptiques. La Dre Eleanor Thomson, professeure de politique de santé publique à l’Université de Toronto, a déclaré à CO24 que “le diable se cache toujours dans les détails avec ces accords économiques. Une fois que les intérêts des entreprises obtiennent le droit de contester les réglementations par un arbitrage contraignant, nous observons souvent un effet paralysant sur les nouvelles mesures de santé, même lorsque des exceptions existent sur papier.”
Le débat reflète des tensions plus larges dans la politique canadienne entre la libéralisation économique et le maintien de cadres réglementaires robustes. Des préoccupations similaires ont surgi lors des négociations d’accords commerciaux internationaux comme l’AECG et l’ACEUM, où les défenseurs de la santé se sont battus pour protéger la souveraineté réglementaire du Canada.
Pour Carney, qui s’est soigneusement positionné comme un progressiste favorable aux entreprises avant une éventuelle candidature à la direction libérale, l’opposition de la Société du cancer présente un défi politique. Les analystes politiques suggèrent que cela pourrait compliquer ses efforts pour bâtir une large coalition de soutien englobant à la fois le milieu des affaires et les défenseurs des politiques sociales.
Le gouvernement libéral n’a pas encore formellement approuvé les propositions de Carney, le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne indiquant que le gouvernement “examine attentivement tous les aspects” de la réforme du commerce intérieur. Des sources au sein du gouvernement suggèrent que l’intervention de la Société du cancer a provoqué un examen renouvelé des implications sanitaires de la proposition.
Alors que ce débat se déroule dans un contexte de préoccupations croissantes concernant la capacité des soins de santé et l’augmentation des taux de cancer au Canada, une question fondamentale émerge : dans notre quête d’efficacité économique, sommes-nous prêts à risquer les outils réglementaires qui protègent la santé et le bien-être des Canadiens?