L’effervescence habituelle du week-end dans les marchés fermiers d’Ottawa a pris une nouvelle importance ce printemps, les résidents se tournant de plus en plus vers les producteurs locaux face à une inflation implacable des prix alimentaires. Tôt le samedi matin au parc Lansdowne, les acheteurs font la queue aux étals des vendeurs, sacs en toile à la main, nombreux étant ceux qui s’y rendent en raison du “choc” ressenti face aux prix des supermarchés conventionnels.
“J’ai commencé à venir ici l’année dernière quand j’ai remarqué que ma facture d’épicerie hebdomadaire avait augmenté de près de 50 $ pour essentiellement les mêmes articles,” explique Rebecca Thornton, résidente du Glebe examinant des asperges fraîches à un stand de ferme locale. “Les produits ici ne sont pas seulement plus frais—parfois ils sont réellement plus abordables.”
Son expérience reflète les conclusions du Rapport canadien sur les prix alimentaires 2024, qui prévoit une augmentation des prix alimentaires entre 2,5 et 4,5 pour cent cette année. Pour une famille canadienne moyenne, cela se traduit par des dépenses alimentaires supplémentaires de 700 $ par an par rapport à 2023, selon les chercheurs de l’Université Dalhousie et de l’Université de Guelph.
Le rapport identifie plusieurs facteurs qui alimentent ces augmentations, notamment les impacts du changement climatique, la hausse des coûts de transport et les perturbations continues de la chaîne d’approvisionnement qui ont commencé pendant la pandémie mais continuent d’affecter les réseaux de distribution dans l’ensemble du système alimentaire canadien.
Au Marché fermier d’Ottawa, le vendeur Paul Johnston a été témoin direct de ce changement. “Notre clientèle a augmenté d’environ 20 pour cent au cours de la dernière année,” dit-il tout en arrangeant des présentoirs de verdures de début de saison. “Les gens sont beaucoup plus conscients des prix maintenant, posant des questions sur la valeur et comparant ce qu’ils paieraient ailleurs.”
Les responsables du marché rapportent que les demandes des vendeurs ont augmenté de 15 pour cent pour la saison 2024, avec de nombreuses nouvelles fermes et producteurs cherchant à se connecter directement avec les consommateurs. Ce modèle direct-au-consommateur élimine plusieurs maillons de la chaîne d’approvisionnement traditionnelle où les majorations de prix se produisent généralement.
“Quand on élimine les distributeurs, les grossistes et les détaillants de l’équation, les agriculteurs et les consommateurs peuvent en bénéficier,” explique Dr. Amanda Lewis, économiste agricole à l’Université Carleton qui étudie les systèmes alimentaires locaux. “Les agriculteurs conservent une plus grande part de ce que les consommateurs dépensent, tandis que les acheteurs obtiennent souvent des produits plus frais à des prix compétitifs.”
La tendance s’étend au-delà des produits frais. Les producteurs alimentaires artisanaux d’Ottawa ont également constaté un intérêt accru pour leurs offres alors que les consommateurs réévaluent leurs habitudes d’achat.
“Les gens viennent pour les légumes mais finissent par découvrir nos pains ou nos conserves,” explique Marie Duchamp, qui exploite un étal de boulangerie en petites quantités. “Ils me disent qu’ils font des choix plus réfléchis quant à l’utilisation de leur budget alimentaire.”
L’intérêt pour les aliments locaux, stimulé par l’inflation, représente un tournant potentiel pour le secteur agricole d’Ottawa, qui a fait face à des défis liés à l’expansion urbaine et à la consolidation au sein de l’industrie agricole.
Les autorités locales l’ont remarqué. La Ville d’Ottawa a récemment approuvé des mesures pour élargir l’accès aux marchés fermiers, notamment des heures d’ouverture prolongées et des emplacements supplémentaires dans les quartiers de la ville.
“Soutenir l’infrastructure alimentaire locale n’est pas seulement une question d’économie—c’est une question de sécurité alimentaire et de résilience communautaire,” a déclaré le conseiller Tim Williams, qui a défendu l’initiative d’expansion. “Si les chaînes d’approvisionnement mondiales font face à d’autres perturbations, la production locale devient de plus en plus importante.”
Pour les vendeurs du marché, l’intérêt accru présente à la fois des opportunités et des défis. De nombreux petits producteurs signalent qu’ils ont du mal à répondre à la demande croissante tout en maintenant la qualité et en évitant les pratiques agricoles industrielles qu’ils ont délibérément abandonnées.
Alors que les résidents d’Ottawa naviguent dans les nouvelles réalités de l’économie alimentaire en 2024, la question demeure: ce virage vers l’achat local représentera-t-il un changement durable dans le comportement des consommateurs, ou simplement une réponse temporaire aux pressions inflationnistes dans l’économie plus large?