Dans le langage technique du dernier projet de loi commercial international du Canada se cache ce que les défenseurs de la santé appellent une bombe à retardement potentielle pour les normes de santé publique. Le projet de loi C-85, qui progresse discrètement au Parlement, a déclenché des sonnettes d’alarme parmi les professionnels de la santé qui avertissent qu’il pourrait fondamentalement miner la capacité du Canada à protéger ses citoyens contre les substances nocives.
Cette législation controversée, conçue pour mettre en œuvre l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), contient des dispositions qui, selon les experts en santé, rendraient beaucoup plus difficile pour le Canada d’interdire les produits chimiques nocifs et les additifs alimentaires que les partenaires commerciaux continuent d’autoriser.
“Ce projet de loi crée essentiellement une course vers le bas pour les normes de santé,” affirme Dr. Melanie Thompson, directrice de l’Association canadienne pour la santé environnementale. “Nous assistons à la priorisation des intérêts commerciaux sur la santé des Canadiens par des mécanismes qui nous empêcheraient de mettre en œuvre des protections plus strictes que nos partenaires commerciaux.”
Au cœur de la controverse se trouve le libellé du projet de loi qui exigerait que le Canada prouve une “certitude scientifique” avant de restreindre ou d’interdire des substances potentiellement nocives si ces restrictions dépassent celles des partenaires commerciaux. Cela représente un écart significatif par rapport à l’approche de précaution traditionnelle du Canada, qui permet une action protectrice basée sur des preuves raisonnables de préjudice potentiel.
L’Association médicale canadienne a rejoint une coalition d’organisations de santé exprimant une profonde inquiétude concernant les implications du projet de loi. Dans une déclaration commune, ils soulignent comment la législation pourrait entraver la capacité du Canada à mettre en œuvre des mesures comme celles récemment prises dans l’Union européenne, qui a interdit des milliers de produits chimiques sur la base de preuves émergentes de nocivité.
“Ce que nous voyons est un changement fondamental dans notre approche de la politique de santé publique,” explique Dr. Elizabeth Carter, analyste en politique de santé à l’Université de Toronto. “Sous ce cadre, le Canada devrait attendre une preuve définitive de préjudice — prenant souvent des décennies à établir — avant d’agir pour protéger les citoyens, même lorsque des preuves raisonnables suggèrent un risque significatif.”
Les partisans du projet de loi, dont la ministre du Commerce Mary Ng, soutiennent que ces préoccupations sont exagérées, argumentant que la législation maintient la souveraineté du Canada tout en créant un environnement plus prévisible pour le commerce international. “Rien dans cet accord n’empêche le Canada de réglementer dans l’intérêt public,” a déclaré Ng lors d’un débat parlementaire.
Cependant, les critiques pointent des dispositions spécifiques qui permettraient aux partenaires commerciaux de contester les réglementations canadiennes par le biais de mécanismes de règlement des différends si ces réglementations dépassent les normes internationales ou créent des “obstacles inutiles au commerce.” De telles contestations pourraient entraîner des pénalités financières importantes ou des représailles commerciales.
Le chercheur en santé environnementale Dr. Jason Wong évoque l’expérience du Canada avec des dispositions similaires dans des accords commerciaux précédents. “Nous avons déjà vu comment ces mécanismes peuvent refroidir l’action réglementaire. Les fonctionnaires deviennent réticents à proposer des protections plus fortes sachant qu’elles pourraient déclencher des différends coûteux, même lorsque la science suggère qu’une action est justifiée.”
Le projet de loi arrive à un moment où les experts en santé publique canadiens préconisent des réglementations plus strictes sur plusieurs fronts, notamment des contrôles plus serrés sur les “produits chimiques éternels” PFAS, des limites plus strictes sur les résidus de pesticides dans les aliments, et des mesures plus agressives pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens.
Avec la législation actuellement devant le Parlement, les défenseurs de la santé exhortent les Canadiens à contacter leurs représentants et à exiger des amendements qui protégeraient explicitement la capacité du pays à mettre en œuvre des protections sanitaires et environnementales basées sur le principe de précaution.
Alors que notre système commercial mondial devient de plus en plus intégré, la question fondamentale émerge : comment équilibrer les avantages du commerce international avec notre droit de déterminer des protections sanitaires appropriées pour nos citoyens? La réponse pourrait bien déterminer l’avenir de la politique de santé publique au Canada pour les générations à venir.