Le détaillant de mode de luxe Ssense, basé à Montréal, s’est placé sous la protection de la loi sur les faillites, provoquant une onde de choc dans le paysage canadien du commerce haut de gamme. L’entreprise, autrefois évaluée à 5 milliards de dollars et considérée comme l’une des startups les plus réussies de Montréal, a déposé sa demande en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) mardi dernier.
Les documents judiciaires révèlent que Ssense croule sous les dettes, avec des obligations impayées dépassant 62 millions de dollars. L’entreprise doit la somme astronomique de 25 millions de dollars à ses fournisseurs, 17 millions à sa banque et 5 millions à son propriétaire pour sa boutique phare de Montréal. Une dette supplémentaire de 15 millions est liée à divers autres créanciers.
“Le marché du détail a connu une volatilité importante après la pandémie,” a déclaré Jean-Daniel Breton, syndic d’insolvabilité chargé de l’affaire. “Les détaillants de luxe comme Ssense étaient particulièrement vulnérables aux changements des habitudes de consommation et aux rabais agressifs que nous avons observés dans l’industrie.”
Fondée en 2003 par trois frères—Rami, Firas et Bassel Atallah—Ssense s’est forgé une réputation en proposant des marques de créateurs avant-gardistes et en cultivant une clientèle fidèle parmi les milléniaux passionnés de mode. L’ascension de l’entreprise a atteint son apogée en 2021 lorsque la société d’investissement japonaise Sequoia Capital l’a évaluée à 5 milliards de dollars lors d’une levée de fonds.
Les analystes de l’industrie pointent plusieurs facteurs pour expliquer la chute de Ssense. L’expansion agressive de l’entreprise pendant le boom du commerce électronique lié à la pandémie s’est avérée insoutenable alors que les consommateurs revenaient aux achats en magasin. Parallèlement, l’inflation a poussé de nombreux clients à privilégier les produits essentiels au détriment des articles de luxe.
“Il ne s’agit pas seulement de Ssense, c’est un signal d’alarme pour l’ensemble du secteur du commerce de luxe,” a déclaré Madison Chen, analyste du commerce de détail. “Quand une entreprise aussi sophistiquée et bien financée éprouve des difficultés, cela révèle des défis plus profonds du marché.”
La demande de protection contre les faillites donne à Ssense le temps de se restructurer tout en maintenant ses opérations. L’entreprise a obtenu un financement provisoire de 10 millions de dollars pour continuer à payer ses employés et ses fournisseurs essentiels pendant qu’elle résout ses problèmes financiers.
Pour la scène de la mode montréalaise, les difficultés de Ssense représentent un coup dur. L’entreprise employait plus de 600 personnes et exploitait un important centre de distribution dans le quartier Saint-Henri de la ville. Sa boutique phare du boulevard Saint-Laurent est une destination prisée des passionnés de mode depuis 2011.
“Ssense a contribué à positionner Montréal comme un centre mondial de la mode,” a déclaré François Roberge, PDG du détaillant de vêtements montréalais La Vie en Rose. “Leurs difficultés reflètent les défis extraordinaires auxquels les détaillants font face sur le marché actuel.”
Cette faillite survient dans un contexte plus large de ralentissement du commerce de détail qui a fait plusieurs victimes parmi les grandes chaînes canadiennes ces dernières années. Le grand magasin de luxe Holt Renfrew a fermé ses établissements à Edmonton et à Québec, tandis que des détaillants grand public comme Bed Bath & Beyond Canada et Bentley Leathers se sont placés sous la protection de la loi sur les faillites.
Alors que Ssense navigue dans sa restructuration, l’avenir de l’entreprise demeure incertain. Les documents judiciaires indiquent que la direction explore plusieurs options, notamment une vente potentielle, des investissements supplémentaires ou d’importants changements opérationnels pour rétablir la rentabilité.
Cette success story montréalaise autrefois célébrée trouvera-t-elle une voie pour se relever, ou rejoindra-t-elle la liste grandissante des victimes du commerce de détail? Pour l’industrie canadienne de la mode et l’identité de Montréal en tant que capitale du style, les enjeux sont considérables.