Le bourdonnement des machines dans les usines canadiennes s’est inquiétamment atténué ces derniers mois, le secteur glissant en territoire de récession, avec les tarifs américains qui émergent comme principal coupable de ce ralentissement économique. Les nouvelles données publiées hier confirment ce que les leaders de l’industrie craignaient : le secteur manufacturier canadien s’est contracté pour le quatrième trimestre consécutif, marquant une récession sectorielle officielle qui menace des milliers d’emplois et des milliards en production économique.
“Nous observons des volumes de production à leur plus bas niveau depuis la pandémie,” explique Marcus Henderson, économiste en chef à la Coalition canadienne de la fabrication. “Le tarif de 15% imposé par les États-Unis sur les produits canadiens d’aluminium et d’acier a effectivement exclu de nombreux fabricants de leur plus grand marché d’exportation.”
Les données manufacturières montrent une baisse de 3,2% de la production pour le deuxième trimestre de 2023, suivant des baisses de 2,8%, 1,9% et 2,3% lors des trois trimestres précédents. Ces chiffres représentent la plus longue contraction soutenue dans le secteur manufacturier canadien depuis la crise financière de 2008, selon Statistique Canada.
L’Ontario et le Québec ont été particulièrement touchés, les secteurs de l’automobile et de l’aérospatiale connaissant les baisses les plus marquées. À Windsor, souvent appelée la capitale automobile du Canada, trois fournisseurs de pièces ont annoncé des mises à pied totalisant plus de 600 travailleurs au cours du seul mois dernier.
Les effets se propagent au-delà des usines. “Pour chaque emploi manufacturier direct affecté, nous voyons typiquement trois à quatre emplois indirects touchés dans la chaîne d’approvisionnement,” note Patricia Mohr, spécialiste en économie des ressources chez RBC Marchés des Capitaux. “Cela amplifie considérablement l’impact économique.”
Les tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis se sont intensifiées depuis que Washington a mis en œuvre son cadre politique “America First” l’année dernière. La relation, historiquement caractérisée par des chaînes d’approvisionnement intégrées, fait maintenant face à une tension sans précédent alors que les entreprises canadiennes luttent pour s’adapter au nouveau paysage tarifaire.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a abordé la question lors de la conférence de presse d’hier : “Nous dialoguons quotidiennement avec nos homologues américains, cherchant des exemptions pour les produits canadiens tout en explorant des mécanismes de soutien pour notre secteur manufacturier. Il s’agit de préserver des décennies de fabrication nord-américaine intégrée.”
Les analystes de l’industrie soulignent plusieurs défis concurrents au-delà des tarifs, notamment les pénuries de main-d’œuvre dans les rôles manufacturiers spécialisés, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale et les augmentations des coûts des matières premières dues à l’inflation. Cependant, la plupart s’accordent à dire que la situation tarifaire représente le problème le plus immédiat et le plus soluble.
“Quand vous opérez avec des marges de 5-7%, un tarif de 15% rend l’exportation vers votre plus grand marché mathématiquement impossible,” explique Jennifer Zhang, analyste manufacturière chez Valeurs Mobilières TD. “Les entreprises sont confrontées à des choix impossibles : absorber des coûts qu’elles ne peuvent pas soutenir, augmenter les prix au-delà des niveaux compétitifs, ou se réorienter vers des marchés moins rentables.”
L’Enquête sur les perspectives des entreprises manufacturières montre que la confiance parmi les dirigeants du secteur est tombée à son plus bas niveau en cinq ans. Seulement 24% des fabricants s’attendent à une amélioration des conditions commerciales dans les six prochains mois, comparativement à 61% qui anticipent une détérioration supplémentaire.
Certaines entreprises ont commencé à explorer des marchés alternatifs en Europe et en Asie, mais établir de nouvelles chaînes d’approvisionnement et relations clients nécessite du temps et des investissements importants—des ressources que de nombreux fabricants en difficulté n’ont pas.
Les analystes politiques suggèrent que la récession manufacturière pourrait devenir un enjeu central dans les prochaines discussions fédérales, les partis d’opposition critiquant déjà la réponse du gouvernement comme insuffisante. Le chef conservateur Pierre Poilievre a appelé à des tarifs de représailles immédiats contre les produits américains, tandis que le NPD préconise un programme complet de soutien industriel.
Alors que le Canada navigue dans cette crise manufacturière, la question devient de plus en plus urgente : notre modèle de fabrication nord-américain intégré peut-il survivre à la vague actuelle de protectionnisme, ou l’industrie canadienne doit-elle fondamentalement réimaginer sa position dans l’économie mondiale?