Dans une décision qui a fait lever les sourcils dans les cercles économiques canadiens, le récent recul d’Ottawa concernant le calendrier de mise en œuvre de sa taxe sur les services numériques a suscité de nouvelles inquiétudes quant à la position de négociation du Canada face à une potentielle seconde administration Trump. La décision du gouvernement fédéral de reporter jusqu’en 2025 cette taxe controversée sur les géants de la technologie a été interprétée par de nombreux analystes comme un signe de capitulation préventive face aux pressions commerciales américaines.
“Ce report envoie un signal inquiétant sur la détermination du Canada dans les futures négociations commerciales,” explique Dre Martha Reynolds, experte en politique commerciale à l’Université de Toronto. “Quand on recule avant même que les discussions formelles ne commencent, on montre essentiellement ses cartes trop tôt dans la partie.”
La taxe sur les services numériques, conçue pour percevoir des revenus des entreprises technologiques qui profitent des utilisateurs canadiens mais paient un minimum d’impôts au pays, est en développement depuis 2021. Initialement prévue pour janvier 2024, la taxe a maintenant été repoussée deux fois, le dernier report s’étendant jusqu’en 2025.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a défendu ce report comme un alignement stratégique avec les efforts internationaux de réforme fiscale, mais les critiques restent sceptiques. Le moment de cette annonce, quelques mois seulement avant l’élection présidentielle américaine, a alimenté les spéculations selon lesquelles le gouvernement Trudeau se prépare à d’éventuelles hostilités commerciales en cas de retour de Donald Trump au pouvoir.
“La taxe numérique a été un irritant particulier dans les relations canado-américaines,” note James Henderson, chercheur principal à l’Institut canadien de politique commerciale. “S’il est sage d’éviter les conflits inutiles, repousser continuellement la mise en œuvre risque de miner la souveraineté du Canada en matière fiscale.”
Les enjeux sont particulièrement élevés compte tenu de l’approche précédente de Trump dans les négociations commerciales avec le Canada. Durant son premier mandat, l’ancien président avait imposé des tarifs sur l’acier et l’aluminium canadiens, qualifiant notre pays de “menace pour la sécurité nationale” – une désignation qui avait choqué de nombreux Canadiens.
Des sondages récents suggèrent que les préoccupations commerciales figurent en tête de liste pour les dirigeants d’entreprises canadiennes. Une enquête menée par la Chambre de commerce du Canada a révélé que 78% des répondants s’inquiètent d’un regain de tensions commerciales avec les États-Unis en 2025, et 65% sont spécifiquement préoccupés par les réglementations de l’économie numérique.
Les modélisations économiques du Bureau du directeur parlementaire du budget estiment que la taxe sur les services numériques pourrait générer environ 4,2 milliards de dollars de revenus sur cinq ans – des fonds maintenant potentiellement compromis alors que les échéanciers de mise en œuvre sont repoussés. Pour contexte, cela représente près de la moitié du budget fédéral annuel pour les améliorations d’infrastructure à travers le pays.
Les précédents internationaux n’offrent guère de réconfort. Lorsque la France a mis en œuvre une taxe numérique similaire en 2019, l’administration Trump avait menacé d’imposer des tarifs de représailles, ce qui a finalement mené à un compromis que de nombreux analystes politiques ont considéré comme favorable aux intérêts américains.
“Ce qui m’inquiète le plus, c’est le modèle que cela établit,” affirme Dre Reynolds. “Si le Canada semble peu disposé à tenir bon sur sa politique fiscale, quel message cela envoie-t-il concernant d’autres priorités commerciales comme la gestion de l’offre, le bois d’œuvre ou les exportations d’énergie?”
Cette décision place le Canada à un carrefour potentiel dans son approche de la réglementation de l’économie numérique et de sa stratégie commerciale plus large. Bien qu’éviter un conflit immédiat puisse sembler prudent, les experts avertissent que paraître trop empressé de faire des compromis pourrait affaiblir la position du Canada dans les futures négociations, non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec d’autres partenaires commerciaux qui observent attentivement.
Alors que les Canadiens contemplent ces développements, une question cruciale émerge: à l’ère d’un nationalisme économique intensifié et d’une transformation numérique, le Canada peut-il équilibrer ses relations commerciales internationales tout en maintenant une souveraineté fiscale significative sur l’économie numérique qui façonne de plus en plus nos vies?