Dans un tournant décisif qui pourrait remodeler le paysage économique canadien, les dirigeants provinciaux se sont réunis hier à Ottawa pour s’attaquer aux barrières commerciales internes de longue date du pays—une démarche qui prend de l’urgence alors que les relations commerciales avec les États-Unis deviennent de plus en plus incertaines. Le sommet d’urgence, convoqué par le premier ministre Trudeau, marque la première étape concrète vers le démantèlement de ce que les économistes ont appelé “le mur économique invisible du Canada”.
“Nous ne pouvons plus nous permettre le luxe du protectionnisme provincial,” a déclaré Trudeau lors de la session d’ouverture. “Nos barrières commerciales internes coûtent à l’économie canadienne environ 130 milliards de dollars par année—près de 7% de notre PIB. Alors que les pressions externes s’intensifient, notre cohésion interne devient non seulement avantageuse, mais essentielle.”
Le sommet survient dans un contexte de tensions croissantes avec le plus grand partenaire commercial du Canada. La semaine dernière, Washington a annoncé son intention d’imposer de nouveaux tarifs sur les importations canadiennes d’aluminium et d’acier, citant des préoccupations de sécurité nationale—une justification que les responsables canadiens ont vigoureusement rejetée. Le moment a créé ce que la ministre du Commerce Mary Ng a décrit comme “une tempête parfaite qui exige une action immédiate.”
Selon des recherches de la Banque du Canada, les barrières commerciales interprovinciales sont plus restrictives que celles entre le Canada et ses partenaires commerciaux internationaux. Les exigences provinciales en matière de licences, les différences réglementaires et les préférences en matière d’approvisionnement ont effectivement créé 13 marchés distincts à l’intérieur des frontières canadiennes.
Le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, a souligné les absurdités pratiques du système actuel: “Il est plus facile pour un producteur de vin de la C.-B. de vendre à Tokyo qu’à Toronto. Nous handicapons inutilement nos propres entreprises tout en faisant face à la concurrence mondiale.”
La Loi sur la modernisation du commerce interne canadien proposée normaliserait les réglementations dans toutes les provinces, éliminerait les exigences de certification en double et créerait un portail numérique unique pour les entreprises opérant au-delà des frontières provinciales. La législation comprend également des provisions pour un organisme de surveillance indépendant doté de pouvoirs d’application—un élément controversé qui a déjà suscité l’opposition du Québec et de l’Alberta.
“Bien que nous soutenions l’harmonisation en principe, nous devons veiller à ce que l’autonomie provinciale reste protégée,” a déclaré le premier ministre du Québec, François Legault. “Les industries culturelles et la gestion des ressources naturelles doivent rester sous juridiction provinciale.”
Les analystes économiques de l’Institut C.D. Howe prévoient qu’une mise en œuvre réussie pourrait augmenter le PIB par habitant jusqu’à 1 800 $ et créer environ 120 000 nouveaux emplois à l’échelle nationale. Les petites et moyennes entreprises devraient en bénéficier le plus significativement, car les barrières actuelles touchent de manière disproportionnée les entreprises qui n’ont pas les ressources nécessaires pour naviguer dans les exigences interprovinciales complexes.
Les groupes autochtones ont également rejoint la discussion, avec la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, Cindy Woodhouse, qui préconise des protections explicites pour les entreprises autochtones et les droits issus de traités dans tout nouveau cadre.
“Les entreprises des Premières Nations font face à une double barrière—à la fois les restrictions provinciales et les obstacles systémiques. Toute réforme doit reconnaître la souveraineté économique autochtone,” a souligné Woodhouse lors de son allocution au sommet.
Les provinces se sont fixées un calendrier ambitieux de six mois pour finaliser l’accord, avec une mise en œuvre qui débutera au début de 2026. Cependant, les analystes politiques notent que des initiatives similaires ont échoué par le passé, notamment l’Accord de libre-échange canadien de 2017, qui contenait plus de 100 pages d’exemptions et a peu contribué à augmenter substantiellement le commerce interprovincial.
Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a exprimé un optimisme prudent: “La pression externe du protectionnisme américain pourrait enfin fournir le catalyseur dont nous avions besoin pour mettre de l’ordre dans notre propre maison. La nécessité a toujours été mère de l’invention—ou dans ce cas, de la coopération.”
Alors que le Canada navigue dans des dynamiques commerciales mondiales de plus en plus complexes, la question demeure: les gouvernements provinciaux abandonneront-ils enfin leurs instincts protectionnistes pour l’intérêt économique national, ou la politique régionale entravera-t-elle encore une fois une réforme significative? La réponse pourrait déterminer la résilience économique du Canada pour les décennies à venir.