Dans le cadre d’une importante restructuration qui redéfinira les capacités de défense maritime du Canada, la Marine royale canadienne a annoncé son intention de retirer du service huit navires de guerre vieillissants d’ici la fin de 2024. Ce virage stratégique survient alors que les défis d’entretien s’accumulent et que l’arrivée de nouveaux bâtiments dans le cadre de la Stratégie nationale de construction navale se profile à l’horizon.
Cette mise à la retraite touche près d’un tiers de la flotte actuelle de la marine, y compris plusieurs frégates de classe Halifax qui ont constitué l’épine dorsale des opérations navales canadiennes pendant des décennies. Selon des responsables de la défense s’exprimant sous couvert d’anonymat, cette décision a été motivée par des coûts d’entretien insoutenables et la nécessité de réaffecter les ressources vers des navires plus récents et plus performants.
“Ces navires ont atteint un point critique où le coût de leur maintien en service dépasse leur valeur tactique”, a déclaré le contre-amiral Angus Topshee lors d’une réunion à huis clos à la BFC Halifax. “Bien que nous reconnaissions que cela crée un écart temporaire de capacité, c’est une étape nécessaire vers la modernisation de notre flotte pour faire face aux défis de demain.”
Cette annonce a provoqué des remous au sein de la communauté de défense canadienne, les experts étant divisés sur le moment choisi. L’analyste en sécurité maritime Patricia Merton qualifie cette décision de “pragmatiquement inévitable mais stratégiquement préoccupante”, soulignant les tensions croissantes dans les régions arctiques et pacifiques où la présence navale canadienne a toujours été importante.
“Le retrait de ces navires crée une période de 3 à 5 ans pendant laquelle nos capacités de projection seront considérablement réduites”, a expliqué Merton. “C’est une vulnérabilité que nos adversaires noteront certainement.”
Le ministère de la Défense nationale a confirmé qu’environ 1 200 membres du personnel naval seront réaffectés à d’autres fonctions, sans réduction prévue des effectifs. Cette réaffectation des ressources humaines représente ce que les responsables de la défense décrivent comme “un investissement dans notre personnel en attendant de nouvelles plateformes.”
Cette mise hors service coïncide avec les retards continus dans la livraison des nouveaux navires de combat de surface du Canada. Le programme de Navires de combat canadiens, évalué à plus de 60 milliards de dollars, a connu des retards répétés, le premier nouveau navire de guerre n’étant désormais pas attendu avant 2031, soit trois ans après le calendrier initial.
Le ministre de la Défense, Bill Blair, a abordé ces préoccupations lors d’une conférence de presse à Ottawa hier. “Bien que je comprenne les défis opérationnels que cela crée, ces décisions difficiles démontrent notre engagement envers une gestion responsable des ressources de défense”, a déclaré Blair. “Nous restons absolument déterminés à reconstruire la Marine royale canadienne avec des navires à la fine pointe de la technologie qui serviront les Canadiens pendant des décennies.”
L’impact économique va au-delà des considérations de sécurité nationale. Les chantiers navals d’Halifax et de Victoria qui s’occupent de l’entretien naval verront leur charge de travail considérablement réduite. Les analystes de l’industrie estiment que les pertes d’emplois potentielles atteignent 800 postes dans l’ensemble du secteur de l’entretien maritime, ce qui suscite des inquiétudes dans les communautés côtières où ces installations sont d’importants employeurs.
Daniel Thorne, représentant du syndicat des travailleurs maritimes, a exprimé sa frustration face à ce qu’il appelle une “planification à courte vue” de la part des gouvernements successifs. “Les travailleurs d’Halifax ont entretenu ces navires contre vents et marées, accomplissant souvent des miracles pour les maintenir opérationnels. Maintenant, ils font face au chômage parce que les navires de remplacement n’ont pas été commandés à temps.”
Le moment choisi pour cette réduction de la flotte soulève également des questions sur la capacité du Canada à respecter ses engagements envers l’OTAN. Avec moins de navires opérationnels, la contribution du Canada aux opérations de sécurité maritime internationale – des patrouilles en Méditerranée aux exercices de liberté de navigation dans l’Indo-Pacifique – diminuera inévitablement.
L’ancien commandant naval James Riddell suggère que cet écart de capacité crée des vulnérabilités stratégiques. “La marine sera extrêmement sollicitée. Il n’y aura tout simplement pas assez de coques sur l’eau pour maintenir notre présence dans toutes les zones où le Canada a traditionnellement opéré.”
Alors que ces huit navires de guerre naviguent vers leur coucher de soleil final, la question demeure : le Canada s’est-il correctement préparé à cette période de transition, ou notre sécurité maritime en souffrira-t-elle pendant les années entre la mise à la retraite et le remplacement? La réponse pourrait déterminer non seulement l’avenir de la Marine royale canadienne, mais aussi la position du Canada parmi ses alliés dans un environnement maritime mondial de plus en plus contesté.