Dans les moments de calme entre les patrouilles, le sergent Michael Stacey, agent de la paix, réfléchit souvent à sa carrière de trois décennies qui a débuté dans les séquelles fumantes de la crise d’Oka de 1990. Alors qu’il se prépare à prendre sa retraite plus tard cette année, Stacey représente une génération d’agents de la force publique autochtones dont la carrière a été façonnée par l’un des affrontements territoriaux les plus importants du Canada.
“Quand j’ai rejoint les rangs, les blessures étaient encore vives,” m’a confié Stacey lors d’une entrevue au quartier général des agents de la paix de Kahnawake. “Nous ne faisions pas simplement appliquer les lois—nous reconstruisions la confiance dans une communauté qui avait vécu un traumatisme et une division profonds.”
Les agents de la paix de Kahnawake, établis comme force policière autochtone indépendante, ont émergé directement des tensions qui ont éclaté pendant le conflit armé de 78 jours entre les manifestants mohawks, la Sûreté du Québec, et éventuellement l’armée canadienne. Ce qui a commencé comme une opposition à l’expansion d’un terrain de golf sur des terres contestées s’est rapidement transformé en une confrontation télévisée à l’échelle nationale qui a fondamentalement modifié la relation du Canada avec les communautés autochtones.
Pour des agents comme Stacey et sa collègue la sergente Alana Goodleaf, qui prend également sa retraite cette année, leurs carrières couvrent une évolution remarquable dans le maintien de l’ordre autochtone. “Nous avons commencé avec des ressources limitées et du scepticisme de tous les côtés,” a expliqué Goodleaf. “Certains membres de la communauté nous considéraient comme des exécutants potentiels de l’autorité extérieure, tandis que les représentants gouvernementaux remettaient en question nos capacités.”
Les statistiques racontent une histoire convaincante de progrès. Lors de leur création, les agents de la paix fonctionnaient avec seulement sept agents et un équipement minimal. Aujourd’hui, ils maintiennent une force de 32 agents avec une formation spécialisée en police communautaire, en intervention de crise et en sensibilité culturelle. Leur juridiction couvre l’ensemble du territoire mohawk de Kahnawake, desservant environ 8 000 résidents.
“Ce qui rend notre approche unique, c’est la façon dont nous mélangeons les principes mohawks traditionnels de résolution des conflits avec les pratiques policières modernes,” a déclaré Dwayne Zacharie, chef des agents de la paix. “Nos agents n’appliquent pas seulement la loi canadienne—ils défendent des valeurs communautaires qui existent depuis des siècles.”
Les documents financiers obtenus par demandes d’accès à l’information montrent que le budget annuel des agents de la paix est passé d’environ 850 000 $ en 1991 à plus de 5,2 millions $ aujourd’hui, reflétant à la fois l’expansion des services et la reconnaissance croissante de leur légitimité par les autorités fédérales et provinciales.
Le changement dans la perception communautaire est peut-être le plus révélateur. Un sondage de 2023 mené par la Commission de développement économique de Kahnawake a révélé que 78 % des membres de la communauté exprimaient une grande confiance envers les agents de la paix, comparativement à seulement 31 % qui déclaraient avoir confiance dans les organismes d’application de la loi extérieurs.
Le professeur Taiaiake Alfred, expert en gouvernance autochtone à l’Université de Victoria, considère les agents de la paix comme un exemple d’autodétermination réussie. “Ce qui a commencé comme une mesure réactive s’est transformé en un modèle proactif pour la sécurité et la justice dirigées par les Autochtones,” a déclaré Alfred. “Leur expérience démontre qu’une police communautaire qui respecte les protocoles culturels peut être plus efficace que les systèmes imposés.”
Les agents qui prennent leur retraite laissent derrière eux un héritage de connaissances institutionnelles que la force s’efforce délibérément de préserver. Un programme de mentorat a jumelé des agents partant à la retraite avec des recrues au cours des cinq dernières années, garantissant que les relations communautaires cruciales et les approches traditionnelles de résolution des conflits ne soient pas perdues.
“Je m’inquiète parfois que la nouvelle génération fasse face à des défis que nous ne pouvions pas imaginer,” a admis Stacey. “Les médias sociaux, la crise des opioïdes, les impacts du changement climatique—ces enjeux n’étaient pas sur notre radar quand nous avons commencé.”
Pourtant, les fondations construites par ces agents pionniers fournissent un cadre pour aborder ces défis évolutifs. Leur retraite arrive à un moment charnière de la politique canadienne, alors que s’intensifient les conversations nationales sur la réconciliation, la réforme policière et la souveraineté autochtone.
En concluant notre conversation, la sergente Goodleaf a réfléchi au sens de sa carrière: “Pendant des générations, le maintien de l’ordre était quelque chose fait à notre communauté, pas par notre communauté. Ce changement fondamental—devenir agents de notre propre sécurité plutôt que sujets d’un contrôle extérieur—c’est ce dont je suis le plus fière d’avoir fait partie.”
Alors que ces agents de la paix de première génération se préparent à raccrocher leurs insignes, une question demeure centrale pour l’avenir de Kahnawake: la prochaine génération d’agents autochtones réussira-t-elle à équilibrer les valeurs de gouvernance traditionnelles avec les complexités croissantes du maintien de l’ordre moderne, ou de nouvelles pressions les pousseront-elles vers une standardisation avec les modèles policiers conventionnels?