À l’ombre des tours financières étincelantes de Toronto, Aisha Rahman, 24 ans, serre dans une main son diplôme de maîtrise et dans l’autre ses lettres de refus. Malgré ses impressionnantes qualifications, elle représente une crise grandissante au Canada—le chômage des jeunes qui a atteint des niveaux alarmants, particulièrement parmi les récents diplômés. La situation exige une attention immédiate alors que les experts préviennent qu’une génération entière risque de prendre du retard économiquement sans intervention ciblée.
“J’ai postulé à plus de 200 postes au cours des six derniers mois,” confie Rahman. “Mes prêts étudiants s’accumulent tandis que les opportunités semblent s’évanouir. On a l’impression que le système n’a pas été conçu pour notre réussite.”
Les statistiques dressent un tableau inquiétant. Le chômage des jeunes se situe actuellement à 12,8 pour cent—presque le double de la moyenne nationale—avec le sous-emploi touchant 27 pour cent supplémentaires des Canadiens âgés de 18 à 29 ans. Cela signifie que près de 40 pour cent des jeunes Canadiens sont soit sans emploi, soit occupent des postes bien en-dessous de leur niveau de qualification.
Dr. Marcus Chen, économiste du travail à l’Université de Toronto, pointe vers des problèmes structurels dans le paysage de l’emploi canadien. “Nous assistons à un décalage fondamental entre l’éducation et les besoins du marché,” explique-t-il. “Les universités continuent de produire des diplômés pour des industries qui n’embauchent plus comme avant, tandis que les métiers spécialisés et les postes techniques restent vacants.”
Le problème va au-delà de la simple rareté des emplois. Selon l’analyse de CO24 Business, les jeunes Canadiens font face à une tempête parfaite de défis : des coûts de logement qui consomment plus de 50 pour cent des salaires d’entrée dans les grands centres urbains, une dette étudiante moyenne de 28 000 $ par diplômé, et des emplois dans l’économie des petits boulots qui remplacent les postes stables offrant une progression de carrière.
Les gouvernements provinciaux ont mis en œuvre divers programmes avec des résultats mitigés. L’initiative de formation professionnelle pour les jeunes de la Colombie-Britannique s’est montrée prometteuse, avec 68 pour cent des participants obtenant un emploi à temps plein dans les six mois. Pendant ce temps, les subventions à l’entrepreneuriat du Québec pour les moins de 30 ans ont donné naissance à plus de 1 200 startups dirigées par des jeunes depuis 2022.
Au niveau fédéral, la récente allocation de 2,7 milliards de dollars pour lutter contre le chômage des jeunes révèle une reconnaissance de la crise, mais les critiques se demandent si l’approche est suffisamment ciblée.
“Nous avons besoin d’une politique coordonnée qui aborde tout l’écosystème,” soutient Jennifer Westbrook, Directrice de la Coalition canadienne pour l’emploi des jeunes. “Cela signifie une réforme éducative, des partenariats industriels ciblés, des initiatives de logement abordable et des protections du travail plus solides pour les jeunes travailleurs. Les solutions fragmentaires n’ont tout simplement pas fonctionné.”
L’examen des modèles internationaux offre des pistes potentielles. Le système d’éducation dual allemand, combinant l’apprentissage en classe avec des stages pratiques, a maintenu le chômage des jeunes en-dessous de 6 pour cent même pendant les ralentissements économiques. Le programme “Garantie Jeunesse” de la Finlande assure que chaque personne de moins de 25 ans reçoit soit une offre d’emploi, soit une éducation continue, soit une formation dans les trois mois suivant le chômage.
Les leaders d’entreprises canadiennes reconnaissent de plus en plus leur rôle dans la résolution de cette crise. Le Conseil canadien des affaires a récemment lancé un consortium s’engageant à créer 25 000 stages rémunérés spécifiquement conçus pour combler le manque d’expérience auquel font face les nouveaux diplômés.
“Les entreprises ne peuvent pas simplement se plaindre des pénuries de compétences tout en refusant d’investir dans le développement des talents,” note Michael Sabia, PDG de Meridian Industries, qui a récemment mis en œuvre un quota d’embauche de jeunes dans toutes les opérations de l’entreprise. “La communauté d’affaires doit s’engager avec des engagements concrets.”
Les jeunes Autochtones font face à des défis encore plus importants, avec des taux de chômage dépassant 22 pour cent dans certaines communautés. La Stratégie de formation pour les compétences et l’emploi des Autochtones a montré des promesses mais nécessite une expansion significative pour répondre aux besoins existants.
“Les obstacles pour les jeunes Autochtones sont systémiques et intergénérationnels,” explique Theresa Cardinal, coordinatrice des programmes pour jeunes Autochtones au Centre d’action pour l’emploi de Winnipeg. “Des solutions efficaces doivent être menées par la communauté et culturellement ancrées tout en fournissant de véritables voies vers l’opportunité économique.”
Comme Canada News l’a documenté au cours de la dernière année, les conséquences d’un chômage prolongé chez les jeunes s’étendent bien au-delà des impacts économiques immédiats. Des études établissent un lien entre le chômage prolongé en début de carrière et la réduction des revenus à vie, le retard dans la formation des familles, l’augmentation des problèmes de santé mentale et la diminution de l’engagement civique.
La volonté politique pour une réforme significative semble croître. Des sondages récents de CO24 Politics indiquent que 72 pour cent des Canadiens classent maintenant le chômage des jeunes parmi leurs cinq principales préoccupations, contre 48 pour cent il y a seulement deux ans.
La voie à suivre exige de repenser à la fois l’éducation et l’emploi pour une économie en rapide évolution. Les innovations prometteuses comprennent des programmes de micro-certification permettant une acquisition rapide de compétences, des accords sur les avantages communautaires assurant l’embauche locale sur les projets publics, et des modèles d’éducation coopérative élargis connectant les étudiants avec les employeurs plus tôt dans leur parcours académique.
“Il ne s’agit pas seulement d’emplois, mais de créer des systèmes qui permettent aux jeunes de construire des carrières significatives et de contribuer à la société,” souligne Dr. Chen. “La prospérité future du Canada dépend de l’efficacité avec laquelle nous intégrons les jeunes talents dans notre économie aujourd’hui.”
Alors que le Canada approche d’une année d’élection fédérale, la question demeure : les décideurs politiques livreront-ils l’approche audacieuse et complète nécessaire pour résoudre le chômage des jeunes, ou une autre génération de jeunes Canadiens talentueux se retrouvera-t-elle avec des diplômes qui ouvrent moins de portes que promis?