Dans l’ombre de l’abondance agricole de la Saskatchewan se cache un paradoxe frappant : près d’un foyer sur six dans la province est confronté à l’insécurité alimentaire. Alors que les champs de la Saskatchewan produisent des récoltes qui nourrissent le monde entier, les organisateurs communautaires locaux redoublent d’efforts pour combler les lacunes nutritionnelles dans leurs propres quartiers, développant des approches innovantes qui pourraient offrir des solutions durables à une crise croissante.
“Nous observons un nombre record de visites à notre banque alimentaire cette année,” explique Melissa Jenkins, directrice du Centre de ressources alimentaires communautaires de Prince Albert. “Il ne s’agit plus seulement de fournir de la nourriture d’urgence—nous créons des systèmes qui permettent aux gens d’accéder à une alimentation nutritive avec dignité.”
Partout en Saskatchewan, des initiatives locales transforment l’approche face à l’insécurité alimentaire. La Coalition alimentaire de Prince Albert a mis en place une stratégie à multiples facettes comprenant des jardins communautaires, des ateliers de cuisine et des programmes de récupération alimentaire qui redirigent les surplus des épiceries vers les familles dans le besoin. Leur approche va au-delà de l’aide d’urgence pour construire des systèmes alimentaires durables.
Les données de Banques alimentaires Canada indiquent que la Saskatchewan a connu une augmentation de 31% de l’utilisation des banques alimentaires depuis 2019, les enfants représentant près de 40% des bénéficiaires. Cette tendance inquiétante a catalysé l’action des organisations communautaires déterminées à répondre aux besoins immédiats et aux causes sous-jacentes.
En réponse, le Réseau des jardins communautaires de Prince Albert est passé de trois jardins en 2018 à quinze aujourd’hui, offrant un espace de culture à plus de 300 familles. Les participants récoltent non seulement des produits frais, mais apprennent également des techniques de culture qu’ils peuvent mettre en œuvre à la maison.
“Ce qui rend ces jardins puissants, ce n’est pas seulement la nourriture qu’ils produisent,” note Robert Bratvold, surintendant de la Division scolaire Saskatchewan Rivers. “C’est la composante éducative. Les élèves apprennent d’où vient la nourriture et développent des compétences qu’ils garderont toute leur vie.”
Les écoles sont devenues des partenaires essentiels pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Le Programme de nutrition scolaire sert maintenant plus de 5 000 élèves quotidiennement à travers la province, garantissant que les enfants ont accès à des repas nutritifs quelle que soit leur situation familiale. Des recherches publiées dans la Revue canadienne de santé publique démontrent que de tels programmes améliorent significativement les résultats scolaires tout en réduisant les problèmes de comportement.
Pour les communautés autochtones, les initiatives de souveraineté alimentaire permettent de renouer avec les pratiques traditionnelles. Le projet de sécurité alimentaire de la Première Nation de Muskoday intègre le savoir des aînés aux techniques de culture contemporaines, répondant à la fois aux besoins nutritionnels et aux connexions culturelles.
“La nourriture est une médecine dans notre vision du monde,” explique l’Aînée Sarah Bear. “Quand nous cultivons des aliments en utilisant des méthodes traditionnelles et récoltons des aliments sauvages, nous guérissons non seulement les corps mais aussi les esprits.”
La pandémie de COVID-19 a intensifié les défis liés à l’insécurité alimentaire tout en créant paradoxalement de nouvelles opportunités d’innovation. Les organisations communautaires ont pivoté vers des modèles de livraison, établi des marchés extérieurs et développé des plateformes d’éducation en ligne qui continuent de servir les populations vulnérables aujourd’hui.
Les obstacles financiers demeurent un défi important. Une famille typique de Saskatchewan de quatre personnes a besoin d’environ 1 200 $ par mois pour une alimentation nutritive—une somme impossible pour de nombreux ménages confrontés à la hausse des coûts de logement et à la stagnation des salaires. Cette réalité économique souligne que l’insécurité alimentaire est fondamentalement une question de revenu.
“Nous pouvons créer tous les jardins communautaires que nous voulons,” reconnaît Jenkins, “mais tant que nous n’aborderons pas la pauvreté, nous traiterons les symptômes plutôt que les causes.”
Le gouvernement provincial a récemment annoncé un investissement de 3,5 millions de dollars dans des initiatives de sécurité alimentaire, bien que les critiques soutiennent que des stratégies plus complètes de réduction de la pauvreté sont nécessaires pour créer un changement durable. Entre-temps, les organisations communautaires continuent de bâtir des réseaux qui renforcent les systèmes alimentaires locaux.
Alors que ces efforts locaux s’étendent à travers la Saskatchewan, ils offrent des modèles prometteurs pour lutter contre l’insécurité alimentaire grâce à des approches communautaires. Les réseaux émergents de jardins, de programmes éducatifs et d’initiatives de partage de ressources démontrent que les solutions efficaces viennent souvent de la base.
Reste à voir si ces innovations communautaires peuvent être maintenues et étendues pour résoudre les inégalités systémiques qui laissent trop de résidents de la Saskatchewan dans l’incertitude concernant leur prochain repas. La province qui nourrit le monde peut-elle garantir qu’aucun de ses propres citoyens ne souffre de la faim?