Dans une position audacieuse qui pourrait remodeler le paysage médiatique numérique canadien, Spotify s’est fermement opposé à la potentielle réglementation des services de diffusion de musique en continu par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Lors des récentes audiences du CRTC, le géant suédois du streaming a soutenu que le forcer à promouvoir du contenu canadien par manipulation algorithmique perturberait fondamentalement l’expérience utilisateur et pourrait nuire aux artistes canadiens que ces règlements visent à soutenir.
“Notre technologie de personnalisation est au cœur de l’expérience utilisateur,” a expliqué Nathan Wiszniak, directeur des partenariats avec les artistes et les maisons de disques canadiens chez Spotify. “Forcer la promotion algorithmique de contenu basée sur l’origine nationale plutôt que sur les préférences des utilisateurs mine complètement notre modèle d’affaires.” Le témoignage de Wiszniak souligne la tension croissante entre les réglementations traditionnelles de radiodiffusion et les plateformes numériques modernes qui s’appuient sur des systèmes de recommandation sophistiqués.
Les audiences découlent du controversé projet de loi C-11, officiellement connu sous le nom de Loi sur la diffusion en continu en ligne, adopté plus tôt cette année. La législation élargit l’autorité du CRTC pour réglementer les services de diffusion en ligne de façon similaire à sa supervision des radiodiffuseurs et télédiffuseurs traditionnels. En vertu de ces nouveaux pouvoirs, la commission examine si elle doit exiger que des plateformes comme Spotify mettent en avant le contenu canadien, reflétant les quotas de “CanCon” qui régissent la radio canadienne depuis des décennies.
Les experts de l’industrie notent que cette approche réglementaire représente une incompréhension fondamentale du fonctionnement des plateformes de streaming. Contrairement à la radio, où les auditeurs reçoivent passivement du contenu programmé, les services de streaming fonctionnent sur le choix actif des utilisateurs et des recommandations personnalisées. Selon les données partagées lors des audiences, Spotify met déjà en valeur d’importants talents canadiens, les artistes nationaux représentant environ 8 % des écoutes mondiales—impressionnant pour un pays qui comprend moins de 0,5 % de la population mondiale.
Le débat s’étend au-delà de la musique. Le CRTC mène simultanément des consultations distinctes concernant les plateformes de diffusion vidéo comme Netflix et YouTube, créant potentiellement un cadre réglementaire complet pour tous les médias numériques au Canada. Les critiques, y compris plusieurs groupes de politique technologique, avertissent que de telles réglementations pourraient étouffer l’innovation et limiter le choix des consommateurs dans un marché numérique de plus en plus concurrentiel.
Les artistes canadiens eux-mêmes semblent divisés sur la question. Bien que certains musiciens établis et organisations de l’industrie soutiennent les mesures visant à promouvoir le talent national, d’autres s’inquiètent des conséquences imprévues potentielles. “Forcer les plateformes à promouvoir du contenu basé sur la nationalité plutôt que sur la qualité ou la pertinence pourrait en fait dévaluer la musique canadienne dans l’esprit des auditeurs,” a noté Ava Reynolds, musicienne indépendante basée à Toronto. “Il s’agit de découverte organique, pas de quotas réglementaires.”
Les implications économiques sont importantes. Spotify contribue substantiellement à l’économie musicale du Canada par le biais de redevances et d’opportunités promotionnelles. L’entreprise a averti que des réglementations trop prescriptives pourraient les forcer à reconsidérer certains aspects de leurs opérations canadiennes, réduisant potentiellement les investissements dans les initiatives musicales locales et limitant les opportunités pour les artistes canadiens émergents d’atteindre un public mondial via leur plateforme.
Les experts juridiques suggèrent que toute réglementation du CRTC doit soigneusement équilibrer les objectifs de politique culturelle avec les réalités technologiques pratiques. “C’est un territoire inexploré,” a expliqué Dr. Michael Chen, spécialiste de la politique numérique à l’Université de Toronto. “La commission doit reconnaître que les plateformes de streaming fonctionnent fondamentalement différemment des diffuseurs traditionnels, et les réglementations doivent refléter ces différences pour être efficaces.”
Alors que le CRTC délibère sur son approche, une question plus large émerge : à l’ère du contenu numérique sans frontières et de la découverte pilotée par algorithme, les réglementations nationales de contenu peuvent-elles—ou devraient-elles—s’appliquer aux plateformes de streaming mondiales? Avec l’identité culturelle canadienne en jeu aux côtés des préoccupations économiques et d’innovation, comment le Canada naviguera-t-il dans ce paysage réglementaire complexe tout en s’assurant que ses artistes continuent de prospérer sur la scène mondiale?