Les murmures concernant des dépenses de défense historiques se sont transformés en clameur. La semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau et le ministre de la Défense Bill Blair ont dévoilé une vision audacieuse pour l’investissement militaire canadien—promettant d’augmenter les dépenses de défense à 1,76 pour cent du PIB d’ici 2030, se rapprochant ainsi du seuil de 2 pour cent souhaité par l’OTAN. L’annonce projette une image d’action décisive et de détermination en matière de sécurité nationale, mais sous la rhétorique se cache une absence troublante : qui, exactement, paiera cette facture de plusieurs milliards de dollars ?
Debout devant les caméras à la BFC Trenton, nos dirigeants politiques ont esquissé des plans ambitieux pour renforcer la souveraineté canadienne dans l’Arctique, moderniser le NORAD et acquérir de nouveaux armements. Ce qu’ils ont soigneusement évité, c’est le calcul économique—les chiffres précis et les choix difficiles qui accompagnent inévitablement de tels engagements financiers massifs. Cette omission n’est pas simplement un oubli ; elle est emblématique d’une tendance préoccupante dans notre approche de la défense nationale.
Les dépenses militaires du Canada ont longtemps été un point de discorde internationale. Nos alliés de l’OTAN, particulièrement les États-Unis, ont critiqué notre réticence à atteindre l’objectif de dépenses de 2 pour cent de l’alliance. La nouvelle stratégie semble conçue pour faire taire ces critiques tout en affirmant l’engagement du Canada envers la sécurité collective. Mais annoncer des dépenses sans clarifier leur impact économique, c’est comme planifier une rénovation élaborée sans vérifier son compte bancaire—séduisant en théorie, potentiellement désastreux en pratique.
Les chiffres eux-mêmes sont stupéfiants. Les projections actuelles suggèrent que cette stratégie nécessitera 73 milliards de dollars supplémentaires sur sept ans, faisant passer les dépenses annuelles de défense d’environ 30 milliards à 54,1 milliards de dollars d’ici 2030. Pour mettre les choses en perspective, c’est à peu près l’équivalent de ce que nous dépensons actuellement en transferts de santé aux provinces. Ce n’est pas de la menue monnaie—c’est une réorientation fondamentale des priorités nationales.
Ce qui rend cette annonce particulièrement troublante, c’est son timing. Le Canada fait face à d’importants vents contraires économiques : une inflation persistante, une crise du logement et des demandes croissantes de services sociaux. Notre dette nationale a explosé après la pandémie, et les paiements d’intérêts consomment à eux seuls une portion de plus en plus inconfortable des revenus fédéraux. Dans ce contexte, s’engager à des augmentations massives de la défense sans articuler comment elles seront financées ressemble à un tour de passe-passe fiscal.
Le gouvernement fait face à trois options, toutes peu attrayantes. Premièrement, ils pourraient augmenter les impôts—une démarche politiquement risquée dans le climat économique actuel. Deuxièmement, ils pourraient détourner des fonds d’autres priorités comme la santé, l’éducation ou les initiatives climatiques—tout aussi controversé. Troisièmement, ils pourraient simplement ajouter à la dette nationale, faisant porter le coût aux générations futures. Le silence sur le chemin qu’ils choisiront en dit long.
Cela ne suggère pas que le Canada ne devrait pas investir dans la défense. Notre monde devient de plus en plus instable, avec l’agression de la Russie en Ukraine, les ambitions territoriales de la Chine et les menaces émergentes dans le domaine cyber. Une dissuasion militaire crédible reste essentielle. Cependant, des conversations honnêtes sur les compromis doivent accompagner ces investissements. La sécurité n’existe pas dans un vide—elle est intimement liée à la stabilité économique et à la cohésion sociale.
Le contexte historique est également important. Le Canada a déjà pris des engagements significatifs en matière de défense pour ensuite les abandonner lorsque les réalités économiques sont intervenues. Le Livre blanc de 1987 promettait une expansion militaire spectaculaire qui ne s’est jamais pleinement matérialisée une fois les contraintes budgétaires apparues. Plus récemment, les plans d’approvisionnement de défense de l’ère Harper ont été à plusieurs reprises retardés ou réduits. Compte tenu de ce schéma, un certain scepticisme quant à la viabilité à long terme de l’annonce actuelle semble justifié.
Ce qui est peut-être le plus préoccupant, c’est la façon dont cette approche mine la responsabilité démocratique. Les décisions de dépenses majeures devraient impliquer des discussions transparentes sur les coûts et les avantages, permettant aux citoyens d’évaluer les compromis et d’exprimer leurs priorités. En annonçant des engagements considérables sans détails économiques, le gouvernement retire effectivement cette conversation vitale du discours public.
Le contexte international offre des contrastes instructifs. Des pays comme la Norvège et le Danemark ont maintenu des dépenses de défense robustes tout en préservant de solides filets de sécurité sociale—mais ils l’ont fait grâce à des cadres fiscaux transparents et des conversations honnêtes sur la fiscalité. Leurs citoyens comprennent ce qu’ils paient et pourquoi. Le Canada ne mérite pas moins.
Alors que nous naviguons dans ce virage de la défense, nous devons exiger une plus grande transparence sur ses implications économiques. Qui supportera le fardeau ? Quels programmes pourraient subir des coupes ? Combien de dette supplémentaire accumulerons-nous ? Ce ne sont pas des questions périphériques—elles sont essentielles pour évaluer si la stratégie sert véritablement l’intérêt national.
Dans les mois à venir, observez attentivement ce qui reste non dit dans les annonces de défense. Les détails les plus importants résident souvent non pas dans ce que les dirigeants politiques proclament fièrement, mais dans ce qu’ils évitent soigneusement de mentionner. Jusqu’à ce que le calcul économique devienne clair, la stratégie de défense historique du Canada demeure au mieux incomplète, au pire potentiellement irresponsable.
En tant que citoyens, nous méritons une approche globale de la sécurité nationale qui aborde à la fois les menaces externes et la durabilité fiscale. Après tout, à quoi sert la préparation militaire si elle se fait au prix de la stabilité économique ? La question n’est pas de savoir si le Canada devrait renforcer sa défense—c’est de savoir si nous sommes prêts pour une conversation honnête sur qui paie la facture, et ce que nous sommes prêts à sacrifier pour y parvenir.