Dans une économie mondiale de plus en plus définie par les tensions géopolitiques et les politiques protectionnistes, le Canada se trouve à un carrefour critique. Alors que le spectre de la volatilité commerciale de l’ère Trump plane à nouveau, Exportation et développement Canada (EDC) a effectué un pivot stratégique qui témoigne de la détermination du pays à réduire sa dépendance économique envers les États-Unis. À l’avant-garde de cette transformation se trouve Alison Nankivell, récemment nommée vice-présidente principale de la diversification d’EDC – un rôle aussi sans précédent qu’essentiel pour l’avenir économique du Canada.
“L’époque où nous comptions principalement sur le marché américain est révolue,” a expliqué Nankivell lors d’une récente entrevue au siège d’EDC à Ottawa. “Le Canada doit être présent et compétitif sur plusieurs marchés simultanément pour assurer notre résilience économique dans un monde de plus en plus imprévisible.”
La nomination de Nankivell représente bien plus qu’un simple remaniement de cadres; elle incarne l’engagement explicite d’EDC à aider les entreprises canadiennes à s’établir sur des marchés au-delà de l’Amérique du Nord. Avec plus de vingt ans d’expérience sur les marchés asiatiques, y compris un temps considérable en Chine et à Hong Kong, Nankivell apporte précisément la perspective internationale qu’exige la stratégie de diversification d’EDC.
Le moment ne pourrait être plus critique. Alors qu’environ 75% des exportations canadiennes s’écoulent encore vers le sud de la frontière, cette concentration crée une vulnérabilité profonde aux vents politiques américains. Les politiques tarifaires imprévisibles de l’administration Trump précédente et les menaces de retrait de l’ALENA ont envoyé des ondes de choc à travers les industries canadiennes, exposant les risques d’une dépendance excessive à un seul marché – des risques qui pourraient resurgir selon l’issue électorale de novembre.
“La diversification des marchés n’est pas seulement une bonne pratique commerciale; elle devient un impératif économique,” affirme Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires. “Ce que nous avons appris pendant le premier mandat de Trump, c’est que le Canada a besoin d’options, peu importe qui occupe la Maison-Blanche.”
La poussée de diversification d’EDC cible plusieurs régions clés où les entreprises canadiennes ont historiquement sous-performé par rapport à leur potentiel. L’Asie du Sud-Est, avec sa classe de consommateurs en croissance rapide, constitue un objectif principal. La région indo-pacifique représente collectivement plus de 40% du PIB mondial, pourtant les exportations canadiennes vers ces marchés restent disproportionnellement faibles.
Le parcours de Nankivell la qualifie uniquement pour combler cet écart. Avant de rejoindre EDC, elle était vice-présidente des fonds et du développement mondial chez BDC Capital, où elle supervisait le déploiement de capitaux en Asie. Sa carrière antérieure comprend des postes à l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada à Hong Kong et divers rôles dans le secteur financier chinois – une expérience qui lui confère non seulement une connaissance des marchés, mais aussi une aisance culturelle dans des régions où les relations déterminent souvent le succès commercial.
“Comprendre comment les affaires fonctionnent dans différents contextes culturels est essentiel,” note Nankivell. “Ce qui fonctionne sur les marchés nord-américains ne se traduit souvent pas directement en Asie ou ailleurs. Notre travail consiste à aider les entreprises canadiennes à naviguer avec succès à travers ces différences.”
La stratégie de diversification d’EDC va au-delà de simplement encourager les exportations vers de nouveaux marchés. L’organisation met en œuvre des changements structurels pour mieux soutenir les entreprises qui s’aventurent au-delà du territoire familier. Cela inclut des produits d’assurance risque améliorés pour les entreprises pénétrant des régions politiquement complexes, une présence accrue sur le terrain dans les principales plaques tournantes financières asiatiques, et des programmes de financement dédiés aux petites et moyennes entreprises cherchant à établir des chaînes d’approvisionnement internationales.
Le gouvernement canadien a signalé un fort soutien à ces efforts, les récents budgets fédéraux allouant des ressources supplémentaires à la diversification commerciale. La ministre du Commerce international, Mary Ng, a souligné que l’élargissement des relations commerciales du Canada représente une priorité économique fondamentale, particulièrement alors que les chaînes d’approvisionnement mondiales subissent une restructuration importante suite aux perturbations pandémiques.
“Il ne s’agit pas de choisir entre les États-Unis et d’autres marchés,” précise Nankivell. “La relation américaine reste fondamentalement importante. Ce que nous construisons est une stratégie complémentaire qui offre aux entreprises canadiennes plus d’options et une plus grande stabilité.”
Les premiers résultats suggèrent que l’approche gagne du terrain. Les exportations canadiennes vers les pays de l’ANASE ont augmenté de 27% au cours de l’année écoulée, tandis que le commerce avec l’Inde a progressé de près de 20% malgré des relations diplomatiques difficiles. Ces chiffres restent modestes par rapport aux volumes d’échanges avec les États-Unis, mais indiquent une dynamique dans la bonne direction.
Les critiques notent que les efforts de diversification précédents ont donné des résultats mitigés, les barrières culturelles, la distance et les environnements réglementaires complexes dissuadant souvent les entreprises canadiennes de s’engager durablement sur des marchés lointains. Certains observateurs de l’industrie se demandent si les initiatives d’EDC peuvent surmonter ces défis persistants.
“Les obstacles à la diversification sont réels,” reconnaît Nankivell. “Mais les risques de l’immobilisme le sont tout autant. Notre rôle est de réduire ces obstacles grâce au financement, à l’atténuation des risques et à l’intelligence de marché qui rend ces opportunités plus accessibles.”
Alors que le Canada navigue dans un paysage commercial mondial de plus en plus complexe, le succès de la stratégie de diversification d’EDC pourrait finalement dépendre de la volonté des entreprises canadiennes elles-mêmes d’adopter le changement de mentalité que préconise Nankivell. Sortir de la zone de confort des marchés nord-américains familiers nécessite non seulement un soutien financier, mais aussi de la patience stratégique et une adaptabilité culturelle.
Les enjeux vont au-delà des indicateurs économiques. Dans un monde où les relations commerciales s’entremêlent de plus en plus avec l’alignement géopolitique, la capacité du Canada à maintenir une présence commerciale significative dans diverses régions pourrait renforcer sa position diplomatique et sa sécurité nationale.
À l’approche des élections américaines de novembre, avec leur potentiel de nouvelles turbulences commerciales, la question demeure : le Canada peut-il diversifier significativement ses relations commerciales assez rapidement pour résister aux tempêtes économiques qui pourraient venir de son plus grand partenaire commercial? Ou la proximité géographique et les liens historiques continueront-ils à lier les entreprises canadiennes principalement aux marchés américains, malgré les meilleurs efforts d’EDC?