Les aciéries de Hamilton, en Ontario, sont les témoins silencieux d’une impasse économique qui s’aggrave. Alors que l’administration du président américain Joe Biden double les tarifs sur l’acier chinois à 25% tout en proposant de quadrupler les droits sur l’aluminium à 20%, les producteurs canadiens se retrouvent pris dans le sillage tumultueux de la vague protectionniste américaine.
“Nous assistons à un changement fondamental dans la dynamique commerciale nord-américaine,” affirme Michel Beaulieu, analyste principal à l’Association canadienne des producteurs d’acier. “Il ne s’agit plus seulement de métaux, mais de tout le cadre des relations économiques canado-américaines.”
L’impact de ces tarifs va bien au-delà des fluctuations immédiates des prix. Depuis les premiers tarifs sur l’acier et l’aluminium mis en œuvre sous l’ancien président Donald Trump en 2018, les fabricants canadiens naviguent dans des chaînes d’approvisionnement de plus en plus complexes. Lorsque ces tarifs ont finalement été levés pour les importations canadiennes et mexicaines en 2019, de nombreux producteurs ont poussé un soupir de soulagement collectif, qui semble maintenant prématuré.
Les données de l’industrie révèlent que les exportations canadiennes d’acier vers les États-Unis ont totalisé 4,3 milliards de dollars l’année dernière, représentant plus de 70% des exportations totales d’acier du Canada. La nature intégrée de la chaîne d’approvisionnement nord-américaine signifie que les perturbations à n’importe quel point se répercutent dans tout le système.
“Ce que nous voyons est un recalibrage stratégique,” explique Thérèse Lavoie, directrice de la politique commerciale chez CO24 Affaires. “L’administration Biden cible la Chine, mais les effets d’entraînement touchent tous les partenaires commerciaux, y compris le Canada.”
Les producteurs canadiens d’acier font maintenant face à un scénario compliqué: des opportunités de marché potentielles si les importations chinoises vers les États-Unis diminuent, équilibrées par la crainte que l’acier chinois détourné n’inonde le marché canadien. La situation a suscité des appels à Ottawa pour mettre en œuvre ses propres mesures de protection.
La vice-première ministre Chrystia Freeland a abordé ces préoccupations la semaine dernière, soulignant l’engagement du Canada à défendre les industries nationales. “Nous défendrons toujours les travailleurs et les entreprises canadiennes,” a déclaré Freeland. “Notre approche de la politique commerciale reste fondée sur des preuves et stratégique.”
Cette stratégie est mise à l’épreuve alors que les mouvements commerciaux américains reflètent de plus en plus des considérations politiques intérieures à l’approche des élections présidentielles de novembre. Les États clés du Michigan, de la Pennsylvanie et du Wisconsin – tous avec une importante empreinte de l’industrie sidérurgique – restent cruciaux pour les calculs électoraux.
Les producteurs canadiens répondent avec leurs propres ajustements stratégiques. Stelco Holdings a accéléré les investissements technologiques pour augmenter l’efficacité de la production, tandis qu’ArcelorMittal Dofasco a mis l’accent sur des produits d’acier spécialisés à forte marge moins vulnérables aux fluctuations des prix des matières premières.
Les experts en commerce qui observent ces développements notent que la situation met en évidence la vulnérabilité persistante du Canada aux changements de politique américaine. “L’asymétrie fondamentale dans la relation signifie que le Canada doit constamment équilibrer la coopération avec l’autoprotection,” affirme Dr. Amélie Charbonneau, spécialiste du commerce international à l’Université de Colombie-Britannique, dans une entrevue exclusive avec CO24 Actualités.
Pour les consommateurs, ces tensions commerciales se traduisent par des augmentations potentielles de prix dans des secteurs allant de la construction à la fabrication automobile. La Chambre de commerce du Canada estime que des tarifs soutenus pourraient ajouter 300 à 800 dollars au coût d’un nouveau véhicule et augmenter les coûts de construction résidentielle de 3 à 5%.
La situation actuelle reflète également des changements plus larges dans les modèles commerciaux mondiaux. Alors que la résilience de la chaîne d’approvisionnement prime sur l’efficacité dans la planification des entreprises, les fabricants canadiens explorent de plus en plus les options de relocalisation et diversifient leurs relations avec les fournisseurs.
“Nous assistons à la fin du consensus commercial de l’après-guerre froide,” note Jacques Rousseau, économiste en chef chez RBC Marchés des Capitaux. “Les pays privilégient la sécurité économique parallèlement aux avantages commerciaux traditionnels, et le Canada doit s’adapter à cette nouvelle réalité.”
Alors que les responsables canadiens se préparent aux prochaines discussions commerciales bilatérales, les enjeux s’étendent au-delà des impacts économiques immédiats à la nature même de l’intégration économique nord-américaine. Ce qui émergera de cette période de tension façonnera probablement les relations commerciales continentales pour les décennies à venir.
La question qui se pose aux décideurs politiques canadiens n’est pas seulement de savoir comment répondre aux tarifs américains actuels, mais comment positionner le pays dans une ère où le système commercial fondé sur des règles qui a bénéficié au Canada depuis des générations fait face à des défis sans précédent de toutes parts.
Sophie Patel couvre la politique commerciale et économique pour CO24 Sports et CO24 Affaires.