Dans un développement prudemment optimiste pour les responsables canadiens de la santé publique, les décès liés aux opioïdes ont montré leur première baisse significative depuis que la crise a commencé à s’intensifier en 2016. Les données récentes publiées par Santé Canada révèlent une diminution de 7,4 % des décès liés aux opioïdes au cours du premier trimestre de 2024 par rapport à la même période l’année dernière, marquant ce que les experts appellent un possible tournant dans la lutte prolongée du pays contre la dépendance aux opioïdes.
Les chiffres nationaux masquent toutefois une réalité troublante : si certaines provinces ont réalisé des progrès remarquables, d’autres font face à une détérioration des conditions qui souligne la réponse disparate du Canada à la crise.
“Ce que nous observons n’est pas une amélioration uniforme à travers le pays,” explique Dre Elaine Hyshka, chercheuse sur l’usage de substances à l’Université de l’Alberta. “Ces chiffres reflètent à la fois des succès et des échecs politiques qui se produisent simultanément dans différentes régions.”
La Colombie-Britannique, autrefois l’épicentre de la crise des opioïdes au Canada, a enregistré une réduction de 14,3 % des décès par surdose, largement attribuée à ses programmes novateurs d’approvisionnement sécuritaire et à l’expansion des services de réduction des méfaits. Le projet pilote de décriminalisation de la province, bien que controversé, semble donner des résultats positifs précoces selon les responsables provinciaux de la santé.
Pendant ce temps, la situation de l’Alberta s’est considérablement détériorée, avec une augmentation de 22 % des décès liés aux opioïdes depuis l’année dernière. Les défenseurs de la santé publique pointent du doigt les politiques restrictives du gouvernement provincial, notamment la fermeture des sites de consommation supervisée et l’accès limité aux services de réduction des méfaits, comme facteurs contributifs.
L’Ontario présente un tableau plus complexe. Alors que les centres urbains de la province ont connu de modestes diminutions des décès liés aux opioïdes, les communautés rurales et nordiques continuent d’enregistrer des taux de mortalité croissants, mettant en évidence le fossé persistant entre zones urbaines et rurales en matière d’accès aux soins de santé et aux services de traitement des dépendances.
“Les données nous indiquent que là où des approches globales de réduction des méfaits sont mises en œuvre et correctement financées, des vies sont sauvées,” affirme Dr Thomas Kerr, chercheur principal au Centre sur l’usage de substances de la Colombie-Britannique. “À l’inverse, les régions adoptant une approche plus punitive ou limitée constatent l’effet opposé.”
La composition changeante de l’approvisionnement en drogues illicites au Canada continue de compliquer les efforts de réponse. Le fentanyl reste le principal facteur de mortalité, mais les autorités sanitaires ont détecté des quantités croissantes d’opioïdes synthétiques puissants comme le carfentanil et de nouvelles benzodiazépines dans l’approvisionnement en drogues, créant de nouveaux défis pour les intervenants d’urgence et les fournisseurs de traitement.
Les initiatives de financement fédéral annoncées plus tôt cette année visent à remédier à ces disparités régionales, avec 312 millions de dollars alloués à l’expansion des options de traitement et des services de réduction des méfaits dans les zones mal desservies. Cependant, les experts se demandent si ce financement se traduira par des changements significatifs sans une plus grande coordination des politiques entre les différents paliers de gouvernement.
Les communautés autochtones continuent de subir des taux disproportionnellement élevés de méfaits liés aux opioïdes, les membres des Premières Nations mourant de surdoses à des taux cinq fois plus élevés que les Canadiens non autochtones. Santé Canada a promis 75 millions de dollars spécifiquement pour des approches dirigées par les Autochtones pour traiter les troubles liés à l’usage de substances, bien que les leaders communautaires soutiennent que cela est insuffisant pour répondre à l’ampleur de la crise.
L’impact économique de la crise des opioïdes demeure stupéfiant. Une analyse récente du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances estime le coût total pour la société canadienne à plus de 5,4 milliards de dollars par année, incluant les dépenses de santé, la perte de productivité et les coûts de justice pénale.
Malgré ce tableau complexe, les spécialistes en médecine de la dépendance voient des raisons d’être prudemment optimistes face à la tendance nationale. “Pour la première fois depuis des années, nous voyons des preuves que des approches coordonnées de santé publique peuvent inverser la tendance,” note Dre Bonnie Henry, responsable provinciale de la santé pour la Colombie-Britannique. “Mais ce n’est pas le moment de déclarer victoire ou de réduire nos efforts.”
Alors que les responsables de la santé publique analysent ces résultats mitigés, une question centrale émerge : le Canada s’appuiera-t-il sur les stratégies réussies qui ont contribué à la baisse des taux de mortalité dans certaines régions, ou les différences politiques et les approches fragmentées continueront-elles à créer un pays où votre code postal détermine vos chances de survivre à un trouble lié à l’usage de substances?