Dans une décision résolue signalant la détermination du Canada à équilibrer le terrain de jeu économique numérique, le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne a confirmé mercredi que le gouvernement fédéral procédera à la mise en œuvre de sa controversée Taxe sur les Services Numériques (TSN) malgré la pression croissante des États-Unis. Cette taxe de 3% ciblant les revenus canadiens des géants technologiques est devenue le dernier point de friction dans les relations économiques transfrontalières, Washington menaçant de potentielles mesures de représailles.
“Nous avons été clairs dès le début,” a déclaré Champagne aux journalistes après une réunion du cabinet sur la Colline du Parlement. “Nous irons de l’avant avec la Taxe sur les Services Numériques parce qu’il s’agit d’équité pour les Canadiens, d’équité pour nos entreprises.”
La taxe, initialement annoncée dans le budget fédéral de 2021, vise à garantir que les entreprises numériques générant des revenus auprès des utilisateurs canadiens contribuent de manière appropriée aux coffres du gouvernement. La mesure affecte principalement les géants technologiques américains comme Meta, Google, Amazon et Netflix, qui ont historiquement opéré au Canada tout en maintenant leurs principales obligations fiscales aux États-Unis ou dans d’autres juridictions aux structures fiscales avantageuses.
La décision du Canada intervient malgré les avertissements de la représentante américaine au Commerce Katherine Tai, qui a qualifié la TSN de “discriminatoire” et suggéré qu’elle cible injustement les entreprises américaines. Dans un signal clair du mécontentement de Washington, Tai a indiqué la semaine dernière que l’administration Biden envisage de mettre en œuvre des contre-mesures si le Canada poursuit son plan.
Les analystes financiers estiment que la taxe pourrait générer environ 7,2 milliards de dollars de revenus sur cinq ans pour le gouvernement canadien. Le ministère des Finances a défendu la mesure comme essentielle pour s’assurer que les entreprises numériques paient “leur juste part” dans les juridictions où elles opèrent et réalisent des profits.
“La réalité est que ces entreprises ont énormément bénéficié du marché canadien et des consommateurs canadiens sans contribuer proportionnellement à notre assiette fiscale,” a expliqué Dre Rhonda McPherson, professeure d’économie à l’Université de Toronto. “Ce que nous voyons, c’est le Canada qui rejoint un mouvement mondial vers la souveraineté fiscale numérique.”
En effet, le Canada n’est pas seul à mettre en œuvre de telles mesures. Plusieurs pays européens ont déjà adopté des taxes similaires sur les services numériques, et l’OCDE travaille à l’élaboration d’un cadre mondial pour la taxation numérique. Cependant, les progrès vers un consensus international ont été lents, incitant les pays à agir unilatéralement.
La Chambre de Commerce du Canada a exprimé des préoccupations concernant les implications commerciales potentielles, particulièrement étant donné la dépendance économique du Canada envers les États-Unis. “Bien que nous soutenions une taxation équitable, nous devons être conscients de la façon dont cela pourrait affecter notre relation commerciale plus large,” a noté le président de la Chambre Perrin Beatty dans une déclaration publiée mardi.
Les critiques conservateurs se sont emparés de ces préoccupations, le chef de l’opposition Pierre Poilievre avertissant que la taxe pourrait déclencher une “guerre commerciale destructrice” avec le plus grand partenaire commercial du Canada. “Les Libéraux sont prêts à risquer des milliards en échanges commerciaux pour une posture idéologique,” a accusé Poilievre pendant la période des questions.
Cependant, le gouvernement libéral semble déterminé, Champagne soulignant que des mesures similaires existent dans d’autres juridictions sans déclencher de perturbations commerciales significatives. “Plusieurs de nos alliés ont mis en œuvre des systèmes comparables,” a-t-il noté. “Il s’agit de s’assurer que les entreprises numériques contribuent aux sociétés dont elles tirent profit.”
La législation, qui serait rétroactive à janvier 2022, devrait faire l’objet d’un examen parlementaire dans les prochaines semaines alors que le gouvernement s’apprête à formaliser le processus de mise en œuvre.
Alors que le commerce numérique continue de remodeler les relations économiques mondiales, la question fondamentale demeure : les nations peuvent-elles affirmer leur souveraineté fiscale dans le domaine numérique sans perturber l’équilibre délicat des accords commerciaux internationaux qui ont précédé l’économie numérique?