Le paysage du financement de l’enseignement supérieur au Canada a subi une transformation profonde depuis la pandémie. Les universités naviguent désormais dans des réalités fiscales complexes qui pourraient remodeler leur avenir institutionnel. L’analyse des données financières de 2016-2017 à 2022-2023 révèle des tendances préoccupantes concernant la durabilité des universités, leur dépendance aux revenus des étudiants internationaux et la santé financière globale des établissements postsecondaires du pays.
Selon des études complètes sur les ratios financiers, les universités canadiennes ont connu un choc initial significatif pendant la période initiale de la pandémie, suivi d’une reprise inégale qui continue de poser des défis à la planification institutionnelle. Le plus inquiétant est l’écart croissant entre les universités qui ont réussi à rebondir et celles qui font face à des difficultés financières persistantes.
“Nous observons un fossé qui se creuse entre les établissements financièrement résilients et ceux qui peinent à s’adapter aux réalités post-pandémiques,” explique Dr. Martin Reynolds, économiste spécialisé en financement de l’éducation à l’Université de Toronto. “Cette polarisation menace de créer un système d’enseignement supérieur canadien à deux vitesses si elle n’est pas traitée.”
Les données révèlent plusieurs tendances critiques. Le financement gouvernemental en pourcentage des budgets de fonctionnement universitaires a poursuivi son déclin d’avant la pandémie, passant d’une moyenne de 42,8% en 2016-2017 à seulement 38,3% en 2022-2023. Cette réduction a accéléré la dépendance des universités aux revenus de frais de scolarité, particulièrement ceux des étudiants internationaux qui paient généralement des frais trois à cinq fois plus élevés que leurs homologues canadiens.
Les inscriptions d’étudiants internationaux, qui avaient initialement chuté durant les fermetures frontalières, ont rebondi de façon spectaculaire. Ces étudiants représentent maintenant plus de 25% des inscriptions totales dans de nombreux établissements majeurs. Cette dépendance crée une vulnérabilité significative alors que les tensions géopolitiques, les politiques de visa et la concurrence mondiale pour attirer ces étudiants s’intensifient.
Le rapport souligne également des variations substantielles dans la résilience financière selon les régions. Les universités de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont généralement maintenu des positions fiscales plus solides, tandis que les établissements des provinces atlantiques et des Prairies montrent des indicateurs financiers plus préoccupants. Les ratios dette/actif ont augmenté notamment dans plusieurs universités de taille moyenne, soulevant des questions sur leur viabilité à long terme.
“La pandémie a accéléré les pressions financières existantes plutôt que d’en créer de nouvelles,” note Catherine Malloy, vice-présidente des finances à l’Université de la Colombie-Britannique. “Les établissements qui sont entrés dans la période COVID avec des réserves solides et des sources de revenus diversifiées ont généralement émergé en meilleure posture que ceux qui faisaient déjà face à des défis structurels.”
Plus inquiétant encore sont les données sur l’entretien différé—l’arriéré de réparations et rénovations nécessaires aux infrastructures vieillissantes des campus. Ce chiffre a augmenté d’environ 18% à l’échelle nationale depuis 2019, certains établissements faisant face à des arriérés d’entretien différé dépassant 20% de la valeur totale de remplacement de leurs actifs.
Les associations professorales soulignent une autre tendance troublante: le recours croissant au personnel académique contractuel plutôt qu’aux postes menant à la permanence. Le pourcentage de cours enseignés par des professeurs non permanents est passé de 38% à près de 45% dans les établissements étudiés depuis 2016.
“Nous assistons à une restructuration fondamentale du travail académique qui précède la pandémie mais qui s’est considérablement accélérée,” explique Dr. Sarah Westbrook de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. “Ce changement menace à la fois la qualité de l’enseignement et la continuité des connaissances institutionnelles.”
La pandémie a également accéléré la transformation numérique, les universités investissant massivement dans l’infrastructure d’apprentissage en ligne. Bien que ces investissements aient été nécessaires pendant les confinements, de nombreux établissements luttent maintenant pour équilibrer l’innovation numérique continue avec le retour aux expériences traditionnelles de campus que les étudiants exigent de plus en plus.
Le tableau financier n’est pas uniformément sombre. Plusieurs universités ont réussi à diversifier leurs revenus grâce à la commercialisation de la recherche, aux partenariats d’entreprise et aux campagnes philanthropiques. Les rendements des fonds de dotation ont généralement bien performé malgré la volatilité du marché, bien que les établissements plus petits avec des portefeuilles d’investissement moins robustes aient moins bénéficié de cette tendance.
Alors que les universités canadiennes tracent leur parcours post-pandémique, des questions fondamentales émergent concernant la durabilité, l’accessibilité et la mission. Les établissements seront-ils forcés de choisir entre la stabilité financière et l’accessibilité éducative? Le secteur peut-il s’attaquer aux inégalités croissantes entre les établissements tout en maintenant la réputation du Canada pour un enseignement supérieur de haute qualité?
Les réponses façonneront non seulement les universités individuelles, mais aussi l’avenir de l’économie du savoir du Canada et les voies de mobilité sociale pour les générations à venir.