Le soleil se lève sur le quartier financier de Toronto tandis que les traders se préparent à une nouvelle journée de volatilité des marchés. Mais derrière les tours de verre et les terminaux numériques, le paysage financier du Canada connaît sa transformation la plus importante depuis des décennies, motivée par l’innovation technologique, l’évolution des attentes des consommateurs et les pressions économiques qui ne montrent aucun signe d’apaisement en 2024.
“Nous assistons à une tempête parfaite de perturbations,” explique Michael Rousseau, analyste en chef chez RBC Marchés des Capitaux. “Les institutions traditionnelles sont forcées d’évoluer à une vitesse sans précédent tout en faisant face à de nouveaux concurrents qui ne jouent pas selon les règles établies.”
Cette évolution survient alors que le secteur financier canadien contribue à environ 7% du PIB national—plus de 140 milliards de dollars annuellement—tout en employant plus de 800 000 Canadiens dans les services bancaires, d’assurance et d’investissement. Les enjeux ne pourraient être plus élevés pour une industrie qui sert de pilier à la stabilité économique.
L’adoption des services bancaires numériques s’est considérablement accélérée, avec 78% des Canadiens utilisant désormais principalement des plateformes en ligne ou mobiles pour leurs transactions financières courantes—une augmentation de 23% par rapport aux niveaux pré-pandémiques. Les grandes banques ont réagi en fermant plus de 400 succursales physiques à l’échelle nationale depuis 2020, réorientant des milliards vers le développement d’infrastructures numériques.
Pendant ce temps, les perturbateurs fintech continuent de gagner du terrain. Des entreprises comme Wealthsimple et Neo Financial ont doublé leur base d’utilisateurs au cours des 18 derniers mois en offrant des transactions sans commission et des alternatives bancaires innovantes. Leur succès a attiré plus de 1,2 milliard de dollars en capital-risque vers les entreprises fintech canadiennes en 2023 seulement.
“Les banques traditionnelles conservent encore des avantages significatifs en termes de réserves de capital et d’expertise réglementaire,” note Sophia Chen, directrice de l’innovation financière chez Deloitte Canada. “Mais elles s’associent de plus en plus avec des startups fintech ou les acquièrent pour rester compétitives. Nous avons suivi 17 acquisitions de ce type au cours de l’année dernière, représentant plus de 3 milliards de dollars en valeur de transactions.”
Le secteur des cryptomonnaies et de la blockchain présente à la fois des opportunités et des défis. Malgré la volatilité du Bitcoin, l’adoption institutionnelle continue de croître, avec cinq grands fonds de pension canadiens allouant désormais des portions de leurs portefeuilles aux actifs numériques. Les cadres réglementaires évoluent en conséquence, avec les ACVM (Autorités canadiennes en valeurs mobilières) introduisant de nouvelles directives de surveillance pour les plateformes d’échange de cryptomonnaies opérant sur les marchés canadiens.
Les considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sont passées de préoccupations périphériques à des priorités stratégiques centrales. Les six plus grandes banques du Canada se sont collectivement engagées à consacrer plus de 700 milliards de dollars au financement d’entreprises et de projets durables d’ici 2030. Ce changement reflète à la fois la pression des investisseurs et la reconnaissance des risques financiers liés au climat.
“L’intégration des critères ESG dans les décisions de prêt représente un changement fondamental dans l’évaluation des risques,” explique Dre Amara Singh, professeure de finance durable à l’Université de Toronto. “Les banques évaluent maintenant les emprunteurs potentiels non seulement sur des indicateurs traditionnels mais aussi sur leur empreinte carbone et leurs plans de transition.”
Le secteur de la gestion de patrimoine fait face à sa propre perturbation alors que le Canada traverse le plus important transfert intergénérationnel de richesse de son histoire. On estime qu’un billion de dollars changera de mains au sein des familles canadiennes au cours de la prochaine décennie, forçant les conseillers à s’adapter aux attentes différentes des héritiers millénariaux et de la génération Z.
“Les clients plus jeunes exigent des expériences numériques, de la transparence sur les frais et un alignement avec leurs valeurs,” affirme Jennifer Williams, directrice de la stratégie chez Gestion de patrimoine TD. “Ils sont également plus susceptibles de remettre en question la sagesse d’investissement traditionnelle et d’explorer des classes d’actifs alternatives.”
L’intelligence artificielle continue de remodeler les opérations dans tout le secteur financier. Les banques canadiennes ont déployé des solutions d’IA pour la détection des fraudes qui ont réduit les faux positifs de 60% tout en améliorant l’identification des menaces réelles. Parallèlement, les implémentations d’IA pour le service client traitent désormais 45% des demandes de routine sans intervention humaine—bien que non sans frictions occasionnelles.
“Le défi n’est pas de mettre en œuvre l’IA,” note le journaliste technologique Martin Chen. “C’est de la mettre en œuvre de manière à améliorer plutôt qu’à frustrer l’expérience client.”
Les initiatives de services bancaires ouverts promettent d’autres perturbations, le gouvernement fédéral avançant enfin vers leur mise en œuvre après des années de consultation. Une fois pleinement réalisé, ce cadre permettra aux consommateurs de partager en toute sécurité leurs données financières entre les institutions, libérant potentiellement une vague d’innovation dans les outils de gestion financière personnelle.
La dynamique du marché du travail présente des défis supplémentaires. Le secteur financier est confronté à un écart de compétences croissant, 67% des institutions signalant des difficultés à pourvoir des postes nécessitant une expertise en science des données et en cybersécurité. Cette pénurie de talents a poussé la rémunération moyenne de ces postes à augmenter de 18% d’une année sur l’autre.
Alors que les institutions financières canadiennes naviguent à travers ces tendances transformatrices, une chose devient claire : l’industrie qui émergera ressemblera peu à son prédécesseur pré-pandémique. Pour les consommateurs, les investisseurs et l’économie en général, la question demeure : cette évolution tiendra-t-elle sa promesse d’une plus grande efficacité, inclusion et résilience, ou introduira-t-elle de nouvelles vulnérabilités systémiques qui ne deviendront apparentes que lorsque la prochaine crise frappera?
La réponse pourrait bien déterminer non seulement l’avenir du secteur financier canadien, mais aussi la trajectoire de l’économie nationale elle-même.