Alors que la majorité des propriétaires du Grand Toronto sont aux prises avec l’incertitude des taux hypothécaires et la volatilité du marché, le segment de l’ultra-luxe connaît une renaissance inattendue. Les ventes de propriétés de plus de 10 millions de dollars ont augmenté de 27 % au premier semestre 2025, défiant les turbulences qui sont devenues la “nouvelle normalité” dans le paysage immobilier torontois.
“Nous assistons à une remarquable bifurcation du marché”, explique Elaine Richardson, PDG de Platinum Estates Group. “Pour l’acheteur fortuné, les taux d’intérêt sont essentiellement sans importance. Ils achètent avec d’importantes liquidités ou ont accès à des solutions bancaires privées qui les isolent des pressions hypothécaires conventionnelles.”
Ce boom du luxe survient à un moment où les propriétés du marché moyen continuent de connaître des corrections de prix. Selon les dernières données de la Chambre immobilière régionale de Toronto, les maisons dans la fourchette de 800 000 $ à 2 millions de dollars ont connu une baisse moyenne de prix de 6,8 % d’une année sur l’autre, tandis que les propriétés de moins de 800 000 $ ont diminué de 4,3 %.
Forest Hill, Rosedale et Bridle Path demeurent les épicentres de l’activité ultra-luxueuse, avec plusieurs transactions notables dépassant les 15 millions de dollars déjà enregistrées cette année. Plus surprenant encore est l’émergence d’Oakville comme puissance du luxe, où les propriétés riveraines ont commandé des primes sans précédent.
“Ce que nous observons ne concerne plus seulement la superficie habitable”, note Marcus Chen, économiste en chef chez CO24 Business. “Le segment ultra-luxe a évolué pour privilégier la confidentialité, les caractéristiques de sécurité et, de plus en plus, les références en matière de durabilité. Les propriétés dotées de systèmes domotiques avancés, d’énergies renouvelables et d’installations de bien-être privées commandent des primes importantes.”
Les investissements étrangers ont joué un rôle important mais nuancé dans cette tendance. Malgré l’application continue par le gouvernement fédéral de l’interdiction d’achat pour les étrangers, les exemptions pour les résidents permanents et certains détenteurs de permis de travail ont maintenu un flux constant de capitaux internationaux. De plus, les structures d’entreprises ont fourni des voies d’acquisition alternatives pour les acheteurs étrangers particulièrement intéressés par les propriétés prestigieuses.
“Le marché du luxe fonctionne selon des principes différents”, explique Sophia Patel, gestionnaire de patrimoine basée à Toronto. “Ces achats représentent à la fois des acquisitions de style de vie et une diversification stratégique de portefeuille. Pour les particuliers fortunés, l’immobilier canadien, particulièrement à Toronto, représente la stabilité dans un paysage mondial de plus en plus incertain.”
Pendant ce temps, les propriétaires ordinaires continuent de faire face à des défis sans précédent dans l’histoire récente du logement au Canada. L’approche prudente de la Banque du Canada en matière d’ajustement des taux a laissé beaucoup de gens dans l’incertitude, les détenteurs d’hypothèques à taux variable étant particulièrement exposés à l’instabilité continue des paiements.
“Ce sont essentiellement deux marchés distincts qui fonctionnent dans des conditions totalement différentes”, affirme Jeremy Martinez, défenseur du logement. “Alors que les discussions sur l’abordabilité dominent la politique et la couverture médiatique, il existe ce marché de luxe parallèle qui prospère au vu de tous, largement déconnecté des réalités économiques auxquelles font face la plupart des Canadiens.”
Les promoteurs ont pris note de cette divergence, plusieurs grands projets s’orientant vers des unités moins nombreuses mais plus grandes avec des finitions haut de gamme, plutôt que les unités plus petites axées sur les investisseurs qui dominaient les ventes préconstruction des années précédentes.
À l’approche de l’automne, traditionnellement une saison robuste pour l’immobilier torontois, les observateurs de l’industrie restent divisés sur la question de savoir si cette flambée du luxe représente une tendance durable ou un phénomène temporaire motivé par des circonstances économiques uniques. Ce qui reste clair, cependant, c’est que pour un segment sélect d’acheteurs, le marché immobilier de Toronto ne survit pas simplement – il prospère.
Dans une ville de plus en plus définie par les disparités économiques, le boom du marché ultra-luxe représente-t-il une anomalie à célébrer ou un symptôme préoccupant d’une inégalité plus large qui remodèle la plus grande région métropolitaine du Canada?