Face à l’augmentation des coûts opérationnels et à la diminution du volume de courrier, Postes Canada se trouve à un carrefour critique qui menace sa position historique en tant qu’institution nationale. Le ministre fédéral des Services publics, Jean-Yves Duclos, a lancé une directive sévère à la société d’État : démontrer une voie claire vers la viabilité financière ou faire face à d’éventuelles réformes structurelles qui pourraient fondamentalement modifier ses opérations.
“Postes Canada doit présenter un plan crédible vers la viabilité financière,” a déclaré le ministre Joel Lightbound, responsable du portefeuille des services postaux. “Le statu quo n’est tout simplement pas viable compte tenu des changements spectaculaires dans la façon dont les Canadiens utilisent les services postaux à l’ère numérique.”
La patience du gouvernement fédéral semble s’amenuiser alors que Postes Canada a enregistré une perte stupéfiante de 290 millions de dollars au premier trimestre de 2024, s’ajoutant à des années de difficultés financières. Le service de courrier traditionnel de la société a vu ses volumes chuter de près de 40% au cours de la dernière décennie, les communications électroniques continuant à remplacer le courrier physique.
Les relations de travail ont davantage compliqué la situation. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) s’est fortement opposé à toute restructuration qui pourrait menacer les emplois ou les niveaux de service, particulièrement dans les communautés rurales où les bureaux de poste servent de pôles communautaires essentiels.
“Nous comprenons les défis financiers, mais toute solution doit protéger les bons emplois et maintenir le service à tous les Canadiens, peu importe où ils vivent,” a déclaré Jan Simpson, présidente nationale du STTP. “Les travailleurs des postes n’ont pas créé cette crise et ils ne devraient pas en porter le fardeau.”
Postes Canada a tenté de se réorienter vers la livraison de colis comme nouvelle activité principale, capitalisant sur le boom du commerce électronique qui s’est accéléré pendant la pandémie. Bien que les volumes de colis aient augmenté considérablement—en hausse de 21% par rapport aux niveaux pré-pandémiques—la croissance n’a pas été suffisante pour compenser les pertes dans d’autres secteurs.
Les analystes financiers soulignent plusieurs défis structurels auxquels la société est confrontée. “Postes Canada opère sous une obligation de service universel qui exige la livraison à chaque adresse au Canada à un prix uniforme,” a expliqué Michael Goldberg, analyste financier chez Desjardins. “C’est une proposition de plus en plus coûteuse dans un pays aussi vaste et peu peuplé que le nôtre, particulièrement lorsque le courrier à marge élevée qui subventionnait autrefois ce modèle continue de diminuer.”
Les obligations de retraite de la société représentent un autre fardeau important. Avec plus de 64 000 employés et des milliers de retraités, les passifs de retraite de Postes Canada dépassent 8 milliards de dollars, créant une pression financière continue qui limite les investissements dans les efforts de modernisation.
Les comparaisons internationales offrent à la fois des mises en garde et des modèles potentiels. Le Royaume-Uni a partiellement privatisé Royal Mail en 2013, tandis que la poste australienne s’est diversifiée dans les services financiers et la vérification d’identité numérique. Le service postal néo-zélandais a considérablement réduit la fréquence de livraison dans les zones rurales tout en maintenant son réseau national.
“Quel que soit le chemin choisi, il doit équilibrer la viabilité financière avec l’important rôle social de Postes Canada,” a noté Dre Chantal Hébert, experte en politique publique à l’Université de Toronto. “La société n’est pas seulement une entreprise—c’est un service public avec des racines historiques profondes dans notre identité nationale.”
Le gouvernement fédéral a commandé une révision complète du mandat de Postes Canada, avec des recommandations attendues d’ici début 2025. Les options envisagées comprennent apparemment la réduction de la fréquence de livraison, la consolidation des installations de traitement, l’expansion des services financiers et de potentiels partenariats public-privé pour certaines opérations.
Pour de nombreux Canadiens, surtout ceux des communautés éloignées, le résultat de cette révision a des implications profondes. “Notre bureau de poste est le cœur de cette ville,” a déclaré Marianne Turcotte, mairesse de Saint-Félicien, Québec. “C’est là où les gens se rencontrent, où les aînés reçoivent leurs pensions, et souvent la seule présence gouvernementale à des centaines de kilomètres à la ronde.”
Alors que la transformation numérique continue de remodeler les communications et le commerce, quel rôle notre service postal national devrait-il jouer dans le Canada du 21e siècle, et à quel coût sommes-nous prêts à maintenir son mandat historique de service universel?