Rapport du coroner québécois établit un lien entre la violence conjugale et un double meurtre, appelle à une réforme policière
Le brutal meurtre-suicide de 2022 qui a coûté la vie à deux Québécoises a mis en lumière des failles critiques dans la façon dont les autorités répondent aux cas de violence conjugale, selon un rapport accablant du coroner publié mardi. Le document de 138 pages révèle un inquiétant schéma de signes avant-coureurs ignorés et de lacunes institutionnelles qui ont ultimement échoué à protéger Isabelle Lajoie et Myriam Dallaire de leur meurtrier, Ian Lamontagne.
L’enquête de la coroner Géhane Kamel dépeint une chronologie troublante menant à la tragédie de février 2022 à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, où Lamontagne a poignardé mortellement les deux femmes avant de s’enlever la vie. Le rapport identifie au moins huit signes avant-coureurs distincts qui auraient dû déclencher une intervention, notamment un comportement contrôlant, des tactiques d’isolement et des menaces de mort explicites.
“Il ne s’agissait pas d’un crime passionnel ou d’un accès de colère imprévisible,” écrit Kamel. “Les preuves révèlent une escalade calculée de contrôle et de violence qui est restée largement ignorée par les autorités malgré de multiples interactions avec l’agresseur.”
Le fait peut-être le plus alarmant était l’historique documenté des menaces de Lamontagne. Selon les témoignages recueillis pendant l’enquête, il avait explicitement menacé de tuer Lajoie si elle tentait de quitter leur relation. Malgré cela, les interventions policières n’ont systématiquement pas reconnu la gravité du danger ni fait le lien entre des incidents séparés pour y voir un schéma cohérent de violence croissante.
Le rapport détaille comment Lamontagne employait des tactiques classiques de contrôle coercitif, notamment la surveillance des communications de Lajoie, son isolement de ses amis et sa famille, et l’exercice d’un contrôle financier. Ces comportements, largement reconnus par les experts en violence conjugale comme précurseurs de violence mortelle, sont passés largement inaperçus aux yeux des agents intervenants.
“Vus isolément, chaque incident peut sembler gérable,” note l’experte en violence conjugale Manon Monastesse, qui a témoigné lors de l’enquête. “Mais placés sur un continuum, ils indiquaient clairement un individu progressant vers une violence mortelle.”
La coroner a émis sept recommandations majeures, avec un accent particulier sur la réforme de la formation policière. Kamel appelle à une formation spécialisée obligatoire sur la violence conjugale pour tous les agents, la mise en œuvre d’outils normalisés d’évaluation des risques et une meilleure partage d’informations entre les organismes.
“Les agents doivent être équipés pour reconnaître les signes subtils de contrôle coercitif et comprendre comment des incidents apparemment mineurs peuvent présager une violence mortelle,” indique le rapport. “Il ne s’agit pas seulement de répondre aux crises, mais de les prévenir.”
La tragédie a suscité de nouveaux appels à une réforme systémique de l’approche québécoise face à la violence conjugale. Les défenseurs pointent les statistiques troublantes de la province – le Québec a enregistré 17 féminicides en 2022 seulement, avec une augmentation de 12% des appels pour violence conjugale entre 2018 et 2022.
Le ministre de la Sécurité publique François Bonnardel s’est engagé à examiner les recommandations, déclarant qu'”aucune femme ne devrait craindre pour sa vie parce que des signes avant-coureurs ont été manqués.”
Ces conclusions s’inscrivent dans une conversation nationale plus large sur la violence basée sur le genre au Canada. Les statistiques fédérales montrent que les femmes restent touchées de façon disproportionnée par la violence entre partenaires intimes, les femmes autochtones et celles des communautés rurales faisant face à des risques particulièrement élevés.
Pour les familles des victimes, le rapport offre une validation mais peu de réconfort. “Ce n’étaient pas juste des statistiques – c’étaient nos filles, nos sœurs et nos amies,” a déclaré Marie Dallaire, la mère de Myriam, dans une déclaration publiée par l’entremise de l’avocat de la famille. “Leurs morts étaient évitables, et c’est ce qui rend cette tragédie si insupportable.”
Alors que les autorités québécoises envisagent de mettre en œuvre les recommandations du coroner, la question fondamentale demeure : combien d’autres signes avant-coureurs seront manqués avant que nos systèmes ne protègent véritablement les personnes à risque de violence conjugale?